Le tribunal de grand instance de Paris, statuant au correctionnel, vient de rendre un jugement qui permet de réfléchir sur les contours du récent délit d'usurpation d'identité.
Rappelons que ce délit a été créé par la loi du 14 mars 2011, qui a introduit un article 226-4-1 dans le code pénal (voir notre actualité du 30 mars 2011).
Ce nouveau délit à déjà connu des applications jurisprudentielles (notre actualité du 8 janvier 2015 et celle du 6 septembre 2016).
Les faits en bref
Un site avait été créé au nom d'un syndic de copropriété par un copropriétaire mécontent des services de ce professionnel, site créé dans le but évident de critiquer ses pratiques. Le nom de domaine du site était constitué des nom et prénom du syndic.
En l'absence de mentions légales d'identification de l'éditeur du site (ce que nous appelons le cyber-ours), les autorités ont recherché l'auteur et éditeur de ce site et n'ont pas tardé à l'identifier via son adresse IP.
Niant les faits, le copropriétaire a malgré tout été cité devant la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris pour usurpation d'identité et non-respect des obligations légales d'identification (éditeur, directeur de la publication et hébergeur du site).
La décision du TGI
Le prévenu sera finalement relaxé du délit d'usurpation d'identité.
Pour y parvenir, les juges procèdent au raisonnement suivant.
"En l’espèce, quelle que soit l’imputabilité des faits reprochés à M. Y., la création de ce site et son alimentation ne peuvent être qualifiées d’usurpation d’identité numérique. En effet, la loi pénale est d’interprétation stricte et l’interprétation de cet article du code pénal au regard des travaux préparatoires de cette loi permet de restreindre le champ de l’infraction à celui d’une usurpation d’identité ou à une utilisation des données de toute nature permettant d’identifier quelqu’un dans le but de se faire passer pour cette personne, telle étant l’intention du législateur.
Or ici, si le nom du site comprend celui de M. X. et fait référence à son activité professionnelle, la lecture du site permet immédiatement, sans confusion possible, de comprendre qu’il ne s’agit pas du site de M. X. mais d’un site ayant pour but de le critiquer : sur la première page, en-dessous du titre M. X. Syndic Avenir figure la mention « M. X., syndic le plus cher et le moins bon de Neuilly sur Seine et Reims »."
En d'autres termes, les magistrats rappellent qu'un texte pénal est toujours d'interprétation restrictive, c'est-à-dire qu'on ne peut l'étendre par convenance à des situations qui seraient proches des hypothèses incriminées, à savoir notamment provoquer le confusion et laisser croire, en l'espèce, que le site était édité par le syndic en question. Les juges retiennent donc pour écarter la qualification d'usurpation le fait qu'un seul coup d'œil sur le contenu du site suffisait à comprendre qu'il s'agissait de critiques contre le syndic et qu'il ne pouvait donc en être ni l'auteur ni l'éditeur.
Dans la suite du jugement, il est précisé qu'en l'absence d'éléments de fait plus précis, les magistrats ne pouvaient que relaxer le prévenu.
Si par exemple, il avait été rapporté, comme le prévoit l'article 226-4-1 du Code pénal que l'identité du syndic était utilisée "en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération", il y aurait eu non seulement usurpation au sens du texte, mais encore diffamation puisque le fait de "porter atteinte à son honneur ou à sa considération" constitue la définition même de la diffamation aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
À rapprocher…
Le 2 mars 2017, le même TGI de Paris avait retenu l'usurpation d'identité par nom de domaine dans un cas similaire, du moins quant à l'utilisation d'un nom de domaine constitué par les prénom et nom d'un personne (notre actualité du 17 mars 2017).
Dans le cas de 2017 comme dans le cas présent, le délit d'usurpation n'avait pas été retenu au pénal.
Dans l'affaire de 2017, l'usurpation d'identité a été prise en compte pour justifier que la personne usurpée disposait d'un motif légitime pour obtenir le transfert à son profit du nom de domaine usurpant. Le tribunal n'a en effet pas constaté d'intention de nuire dans le dépôt du nom de domaine, mais reconnu que le patronyme d'une personne constitue est des attributs de sa personnalité, fondant la revendication sur le nom de domaine.
En guise de conclusion
Le terrain de l'usurpation d'identité, s'il peut paraître séduisant en cas d'atteinte à l'e-réputation d'une personne, n'est pas forcément le fondement juridique adéquat. Le terrain le plus favorable demeure donc soit celui de la diffamation et de l'injure (loi de 1881), soit la réparation du préjudice subi, à supposer que le plaignant puisse apporter la preuve de ce préjudice, par exemple dans notre espèce, une perte de clientèle notable à la suite de la publication des critiques en ligne.
Voir la décision du TGI de Paris, 17ème chambre en date du 18 avril 2019 sur Legalis.net.
Et la présentation de la décision qui y est faite.
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