Mise à jour 2019
A. Position de la question
Le lien hypertexte - ou hyperlien - visé ici, c'est celui qui pointe depuis une page d'un site vers un autre site. Les autres liens, internes au site, ne posent pas de problème juridique. La question émerge lorsqu'un concepteur de page pointe par un lien vers le site d'un autre. Il n'est cependant pas douteux, dans tous les systèmes juridiques connus, qu'un site soit une œuvre sujette à propriété intellectuelle. La question des juristes fut donc : de quel droit est-ce que je peux lier mon œuvre à celle d'un autre ? Sans entrer dans les débats théoriques, il nous semble simplement que la question est mal posée.
Analyse du lien hypertexte
Penchons-nous un instant sur la nature d'un lien, non sous un angle juridique, mais sous un angle purement pratique. Le fait de ménager un lien vers un site qui de toute façon a pignon sur réseau et peut donc être consulté par tous ne constitue à notre sens aucune « autorisation » d'accès supplémentaire. Elle est une simple facilitation pour se transporter sur ce site, une aide apportée au visiteur du site, pour lui éviter de rechercher l'adresse via les outils de recherche habituels. Nous ne voyons donc pas pourquoi il faudrait solliciter l'autorisation du site visé pour ce faire, comme certains voudraient nous le faire penser.
Les liens aux origines du web
Il n'est peut-être pas inutile de verser au débat l'expression World wide web (WWW) et l'intitulé de la norme HTML (Hypertext markup language). C'est à partir de la mise au point de cette norme permettant l'hypertexte que Tim Berners Lee, l'anglais qui a conçu cette norme avec le belge Robert Cailliau, a envisagé de nommer le réseau qui en était issu Web (toile d'araignée). C'est donc bien une toile de liens entre des sites qu'il envisageait. C'est dire que les liens externes entre sites sont consubstantiels à la nature même du Web. Vouloir à tout prix greffer une autorisation, c'est-à-dire en droit, un contrat, derrière chaque lien, tient du rêve...
Vous avez dit contrat ?
A supposer qu'on envisage un contrat, quel en serait l'objet ? Autoriser les visiteurs d'un site de pénétrer sur un autre site qui de toute façon est ouvert au public ? On voit toute de suite l'inanité d'un tel objet, voire l'absence d'objet sérieux. C'est en fait confondre la notion de propriété privée et la notion de lieu public. On s'en aperçoit à nouveau en raisonnant par analogie. Si je conseille à un ami de fréquenter telle grande surface pour ses prix avantageux, pensera-t-on qu'il faut impérativement demander au propriétaire de ce magasin l'autorisation de laisser entrer cet ami ? Poser cette question, c'est trouver la réponse à la théorie contractuelle des liens.
B. Les circonstances de mise en place des liens hypertextes
En revanche, nous n'affirmons pas qu'il soit libre de poser tout type de lien n'importe comment. Mais la question ne se pose absolument pas sur le terrain de l'autorisation, mais sur celle de la responsabilité du fournisseur d'information.
Une étude des litiges déjà survenus en matière de liens hypertextes montre qu'en réalité le lien en lui-même n'est jamais en cause en tant que tel, mais ce sont les circonstances de mise en place de ce lien qui posent problème. Voyons les principaux aspects de cette question.
Le prétendu délit de lien
Un concepteur de site pose un lien qui pointe vers un site délictueux et est condamné pour complicité du délit commis sur le site visé. Immédiatement la presse et même certains juristes évoquent le délit de lien. Ce qui relève d'une remarquable erreur de logique. Il ne s'agit pas de délit de lien, mais tout simplement de lien vers un délit. En en conséquence le lien est considéré comme incitateur au délit. Et l'incitation est punie de complicité, quand elle n'est pas elle-même incriminée. Mais ce n'est pas le lien qui est en cause, c'est le fait d'avoir cité le site délictueux, tout comme serait également punissable de la même complicité le fait de conseiller l'adresse du site, ou même de signaler l'existence de celui-ci sans poser de lien permettant de s'y transporter. Le lien en lui-même n'est donc pas en cause.
Circonstances injurieuses
Un site pointe vers un autre site en le présentant de manière injurieuse. De nouveau, le lien n'est pas en cause, c'est la présentation qui est faite du site qui est litigieuse, en l'occurrence injurieuse, tout comme le serait la simple allusion à ce site, sans lien posé, faite dans les mêmes termes.
La question du « framing »
Certains sites fonctionnent en multi cadres : la fenêtre du navigateur est divisée en plusieurs parties indépendantes appelées cadres (frames en anglais). Le plus souvent un cadre vertical à gauche propose un sommaire de liens internes pour appeler les pages du site qui viennent s'afficher dans le grand cadre de droite. C'est ce qui est appelé framing dans le jargon Internet. Mais il arrive que les liens dans le cadre de gauche appellent des sites externes qui viennent ainsi s'afficher dans le cadre de droite. Tout se passe donc comme si le visiteur n'avait pas quitté le premier site. L'environnement des autres cadres fait qu'il est toujours sur le premier site alors qu'il consulte déjà, en partie, sur le site d'un autre auteur. Circonstance aggravante, ma fenêtre d'adresse ne change pas, rendant impossible la mise en place d'un signet ou favori sur ce site. Cette pratique est bien sûr répréhensible et a fait l'objet d'un litige aux USA, réglé à l'amiable. Elle a pour effet de laisser croire qu'on est l'auteur de l'œuvre d'autrui. En France on considérerait qu'il y a atteinte au droit d'auteur du site visé, mais aussi parasitisme.
La question des liens profonds
Cette question nous paraît typiquement l'illustration du fantasme né du mythe de l'Internet. Les liens profonds sont les liens qui pointent, non vers la page d'accueil d'un site, mais vers une de ses pages internes. Certains voudraient nous faire croire que c'est interdit parce que nuisible au site visé.
Nous préférerions d'ailleurs inverser les propositions, dans l'esprit de notre approche selon laquelle ce sont les circonstances du lien qui posent problème : si le lien est nuisible, il convient de l'interdire. Mais il ne saurait être interdit a priori parce que risquant de nuire.
Des arguments fallacieux
Ce lien profond empêcherait donc le visiteur de savoir sur quel site il arrive puisque le logo et les éléments d'identification de la page d'accueil ne lui seraient pas présentés. Un argument complémentaire serait qu'il ne pourrait ainsi contempler la publicité qui se trouve en page d'accueil - et qui fait en partie vivre le site...
En fait, il y a longtemps que la solution à la première objection a été trouvée, dans la presse papier. Mais comme nous sommes en matière d'Internet, personne n'a raisonné par analogie avec l'existant... Les organes de presse, sachant très bien que tout le monde pratique les coupures de presse et autres photocopies, ont pris l'habitude de rappeler leurs références au bas de chacune de leurs pages. Il suffirait d'appliquer la même solution en rappelant sur chaque page du site l'intitulé du site sur lequel on se trouve. C'est donc une question de bonne communication et non une question qui regarde le droit. De la même manière, des bandeaux publicitaires peuvent se trouver sur toutes les pages du site. Signalons d'ailleurs que la publicité ne fait plus vraiment recette sur Internet...
Un dernier argument serait le fait que le compteur de visites serait placé sur la page d'accueil... C'est là encore complètement ignorer la technique ; tous les logiciels serveurs sont capables de comptabiliser les visites sur toutes les pages d'un site...
Il n'y a pas plus de difficulté, il suffit de s'adapter aux circonstances, il n'est pas nécessaire d'accuser pour autant les poseurs de liens...
Des mesures techniques possibles
Pour en finir, si un propriétaire de site veut vraiment interdire les liens profonds, il le peut parfaitement par des mesures techniques appropriées, faisant en sorte que tout visiteur provenant de l'extérieur et arrivant sur une des pages profondes du site soit ramené directement à la page d'accueil. Nul besoin donc du secours de constructions juridiques fantasmatiques...
Dans certains cas d'ailleurs le site est tellement touffu, fouillis et complexe, pour ne pas être plus discourtois... qu'il est quasiment obligatoire de créer un lien profond, sans lequel l'internaute ne retrouverait jamais la ressource visée. Un lien profond est donc parfois une publicité qui est faite au contenu d'un site riche mais un peu fouillis et le sauve de l'ignorance...
Cependant, il convient de la part des concepteurs de site poseurs de liens de bien rendre ces liens clairs.
La question des liens équivoques
Le réel problème est celui des liens équivoques : un lien est souvent posé sous quelques mots du texte de la page. Assez souvent, le visiteur ignore où ce lien va le mener car la chose n'est pas nette. Et nombreux sont ceux qui ne pensent pas à regarder dans la ligne d'état du navigateur quel est le lien actif. De sorte qu'il importe que les liens soient clairs. Ils ne doivent en aucun cas créer une confusion dans l'esprit du public. Nous conseillons souvent d'utiliser l'adresse elle-même (URL) de la page visée comme lien vers celle-ci. Une autre solution consiste à intituler le lien vers le site : « site les-infostratèges ». L'idée est en tout cas qu'il faut que le lien soit le plus explicite possible sur ce qu'il propose. Dès lors que le lien est équivoque, il y a risque de confusion du public entre les auteurs du site citant et ceux du site cité. Et tout risque de confusion de ce type débouche sur le délit de contrefaçon du droit d'auteur.
Le défunt Forum des droits sur l'Internet , association loi de 1901 soutenue par le Gouvernement, force de réflexion et de débat sur le droit de l'Internet a animé un forum sur le droit des liens hypertextes entre le 21 janvier et le 13 juin 2002. Il avait débouché sur des recommandations qui sont en fait « consensuelles », c'est-à-dire qu'il s'agit d'un texte qui ménage les positions des éditeurs de contenus en ligne (lesquels sont souvent opposés à la pratique des liens) et celles des usagers les plus libertaires.
C. Recommandations pratiques
Signalons tout d'abord les recommandations publiées par Emmanuel Barthe sur son site personnel (http://www.precisement.org) avec lesquelles nous sommes assez largement en accord. L'auteur est un de ceux qui dans nos métiers (documentaliste juriste) a le plus creusé cette question des liens. Après avoir participé activement au débat sur le Forum signalé ci-dessus, il a consigné le fruit de ses recherches dans une communication réalisée à l'occasion de journées d'études sur les panoramas de presse, étudiant particulièrement celles réalisées par voie de liens hypertextes :
http://www.precisement.org/panor_presse/panor_eb.htm
Pour notre part, nous formulerons les recommandations qui suivent.
Toujours ouvrir un lien vers un site externe dans une nouvelle fenêtre
C'est la meilleure protection, qui tend à devenir la norme. C'est une manière de bien distinguer l'œuvre que constitue le site citant et celle que représente le site cité. C'est aussi une manière de dégager sa responsabilité par rapport aux informations fournies sur le site visé.
De plus, en procédant de la sorte, le site citant ne perd jamais son visiteur : celui-ci va naviguer sur un autre site dans une nouvelle fenêtre et lorsqu'il ferme celle-ci, il se retrouve sur le site dont il est parti.
Rédiger des intitulés de liens non équivoques, le cas échéant, mentionner complètement les sources visées
La pratique du lien du type « pour en savoir plus cliquer ici » est non seulement anti-ergonomique mais dangereuse sur le plan du risque de confusion du public : celui-ci peut croire légitimement qu'il ne change pas de site.
Il est donc toujours utile d'être précis. Rédiger au besoin une référence bibliographique allégée de la page vers laquelle on pointe ou au moins nommer le site et présenter la page visée.
Une des possibilités, souvent rencontrées, est d'utiliser comme lien l'adresse de la page elle-même (ce que nous faisons fréquemment sur les-infostratèges).
Sur l'interdiction des liens profonds
Emmanuel Barthe précise : « Lisez les mentions légales et vérifiez si elles tiennent debout. Si elles ne font que reprendre le Code de la propriété intellectuelle ou semblent simplement légitimes, respectez-les (...) » (op. cit.).
Nous serons plus radical que lui. Considérons le fait que tout concepteur de site n'est pas juriste pour apprécier la qualité des mentions légales et proposons deux attitudes diamétralement opposées.
Soit on obtempère à l'interdit du site et on ne pose pas de lien du tout vers ses intéressantes pages profondes, en rappelant ce qui nous avons signalé plus haut : ce site perdra des visiteurs mais son auteur en sera le seul responsable. Cela nous semble la solution la plus juridiquement correcte.
Soit on passe outre en partant du principe que si le producteur du site refuse les liens profonds, il lui est loisible de les interdire techniquement, comme nous l'avons signalé plus haut.
En conclusion
La pose d'un lien hypertexte externe est donc libre au regard du site visé dès lors qu'il est ouvert au public. Ce à quoi il faut veiller, ce sont les circonstances de pose de ces liens : ne pas entretenir de confusion dans l'esprit du public quant aux intitulés et toujours ouvrir le site visé dans une nouvelle fenêtre de navigation.