Nous ne reprendrons pas ici la technique dite du commentaire d'arrêt, sur laquelle peinent tous les étudiants en droit. Il faut savoir qu'il existe une technique particulière pour étudier une décision de justice, la première difficulté étant de lire le style juridictionnel, volontiers archaïque. Notamment, une décision de justice est en principe rédigée en une seule phrase... (Nous visons là, essentiellement les décisions de justice françaises.) Ceci explique la lourdeur du style puisque chaque point de droit est une proposition relative et chacune de ces propositions est séparée par des « ; ». Il faut donc plonger dans ce style et en extraire le rappel des faits, les éléments de procédure - que s'est-il passé avant la décision étudiée ? - et enfin tenter d'élucider le sens de la décision. Cet exercice accroît encore l'acuité et la rigueur du juriste. Et il l'affranchit de tout style abscons pour des années...
Auteur de la décision et autorité relative de chose jugée
Quel que soit l'auteur d'une décision de justice et du niveau où il se place dans la hiérarchie juridictionnelle, la décision qui va être prise ne le sera que par rapport au conflit jugé. La décision prise par les magistrats ne s'imposera qu'aux parties qui se sont opposées dans le procès. En pur droit, la décision n'a donc force obligatoire que vis-à-vis des plaidants. C'est ce que l'on appelle l'autorité relative de la chose jugée. On ne peut donc dire qu'une décision de justice ait force de loi puisqu'elle ne s'impose qu'aux parties au procès. Aucun autre juge en France n'est obligé de reprendre la solution adoptée par un de ses collègues. Ce dernier est libre de décider comme il l'entend en fonction des faits qui lui sont soumis.
Il n'en demeure pas moins que lorsqu'un grand nombre de décisions de justice sont prises dans un même sens, on peut voir se dessiner ce que l'on appellera un courant jurisprudentiel, qui est le reflet d'un certain type d'interprétation, d'un point de droit particulier. On voit tout d'abord se dessiner ce courant jurisprudentiel au niveau des premiers juges. Puis, s'il y a confirmation générale de l'interprétation en question, on verra apparaître cette interprétation, au niveau des cours d'appel. Enfin, dans la mesure où toutes les voies de recours sont exploitées, la Cour de cassation pourra être amenée à trancher. On voit ainsi apparaître, bien logiquement, les différences de poids entre un jugement de tribunal et un arrêt de la Cour de cassation. Il est certain qu'un jugement isolé aura peu de force en regard d'un arrêt de la Cour de cassation. Il est tout aussi évident qu'une série de jugements de tribunaux restera sujette à caution tant qu'il n'y aura pas eu confirmation par des cours d'appel, et à plus forte raison par la Cour de cassation.
De la même manière, plusieurs arrêts de cour d'appel donneront une indication assez précise d'une interprétation possible du droit, mais ils ne fourniront aucune certitude tant que la Cour de cassation n'aura pas tranché. On comprend donc que c'est à cette cour suprême que revient le rôle de coordination et d'harmonisation de la jurisprudence et donc de l'interprétation du droit écrit, voire de sa formation progressive.
On retiendra qu'une décision de justice a plus ou moins de poids selon l'auteur qui l'a adoptée. S'agissant des arrêts de la Cour de cassation, il nous faudra encore distinguer divers types de décisions. On distinguera tout d'abord entre les arrêts d'espèce et les arrêts de principe. Un arrêt d'espèce est un arrêt de peu de portée générale qui à été pris en fonction des faits bien particuliers du litige étudié. C'est une décision qui a été prise strictement en fonction de l'espèce donnée (c'est-à-dire les faits du procès). À l'inverse, comme son nom l'indique, un arrêt de principe énoncera une règle juridique de principe, applicable de manière générale. Il déborde donc très largement des faits qui ont conduit au procès et il a valeur de règle de droit indicative. Pratiquement, on reconnaît un arrêt de principe à sa rédaction. Il comporte en effet un attendu de principe. C'est cet attendu qui énonce la règle que la Cour de cassation entend faire respecter.
Très schématiquement, la Cour de cassation fonctionne en plusieurs formations. D'une part, elle rend des arrêts au sein de ses chambres. D'autre part, il peut arriver dans des cas exceptionnels qu'elle rende des arrêts en formation plus large. Aujourd'hui, cette formation est généralement l'Assemblée plénière. C'est notamment cette assemblée qui se réunit toutes les fois où un litige revient une deuxième (et dernière) fois devant la Cour de cassation. Il est donc bien évident qu'un arrêt de l'Assemblée plénière, de la portée la plus générale, a le poids le plus important de toutes les décisions de jurisprudence existant en France.
Le système est tout à fait similaire dans l'ordre administratif. On retrouve le degré d'importance de la décision en fonction du niveau de l'instance qui a rendu la décision.
Actualité
Un autre critère pour apprécier la validité et la portée d'une décision sera son actualité. Une décision qui remonte à plusieurs décennies alors que la matière sur laquelle elle intervient a beaucoup évolué depuis, sera beaucoup plus suspecte aux yeux d'un juriste en quête d'une solution actuelle.
Généralité
Comme on l'a vu précédemment, la généralité d'une décision peut découler de diverses situations. Il peut s'agir d'un nombre significatif de solutions identiques adoptées, par exemple, par des cours d'appel. Il peut également s'agir d'un arrêt isolé de la Cour de cassation ou d'une décision du Conseil d'État, mais qui constitue un arrêt de principe. C'est la généralité du principe énoncé qui compte dans ce cas ; et les arrêts de l'Assemblée plénière peuvent revêtir d'eux-mêmes un fort caractère de généralité.
Multiplicité
Comme on vient de l'évoquer, il peut arriver que ce soit la multiplicité des décisions tranchant dans un même sens qui donne son poids à une jurisprudence. Ce critère sera surtout pris en compte lorsqu'un phénomène de droit nouveau survient et qu'on attend pendant quelques années la sanction de la Cour de cassation. Dans ce cas, ce sera précisément la multiplicité des décisions des premiers juges ou des cours d'appel qui donnera tout son poids au courant jurisprudentiel.
Qu'est-ce qu'un revirement ?
Un revirement de jurisprudence est quelque chose de très simple à comprendre. Il va s'agir d'un tournant dans l'interprétation d'un point de droit par les cours et tribunaux. Si l'appréhension intellectuelle de la notion de revirement de jurisprudence ne pose pas de problème, son repérage dans la vie de la justice est beaucoup plus délicat. En effet, il est des cas où le repérage d'un revirement est relativement simple. Par exemple, lorsque c'est un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui l'annonce clairement et fermement. Mais cette situation est tout à fait exceptionnelle. En général, on voit survenir un revirement de jurisprudence par la base. Ce sont d'abord les premiers juges qui vont tenter un nouveau courant d'interprétation d'un point de droit. La question, à ce niveau, est de savoir s'ils seront suivis par les cours d'appel et en dernier lieu confirmés par la Cour de cassation. Certains commentateurs auront tôt fait de prédire un revirement. Et pourtant celui-ci n'arrivera pas, pour de multiples raisons. En effet, de nombreuses circonstances pourront enrayer le revirement en cours ; ou bien ce seront les cours d'appel, voire la Cour de cassation, qui dans un de leurs arrêts, infirmeront les tentatives des premiers juges. Voilà pourquoi il est très difficile de repérer, à coup sûr, un revirement de jurisprudence, et plus encore de le prévoir !
|cc| Didier Frochot - juillet 2003
Voir aussi :
La justice : rappels terminologiques