Le cas du secteur de l'information professionnelle est flagrant à cet égard. Sans vouloir polémiquer, force est de constater qu'aujourd'hui le droit d'auteur n'est plus du tout adapté aux réalités de notre société de l'information, encore moins pour l'information scientifique, technique et professionnelle. Nous aimerions mettre cette courte présentation sous le signe de cette considération essentielle sans laquelle on ne comprendra pas pourquoi les solutions actuelles sont ingérables. Il serait grand temps de réformer ce système... (1)
Papier ou numérique : un même droit
Rappelons succinctement comment le droit d'auteur à la française (2) fonctionne. Ce droit s'exerce sur toute mise en forme d'une idée (elle, libre de droit) par quelque moyen que ce soit, dès lors que cette mise en forme, l'œuvre, émane de l'esprit humain, au profit de son créateur, l'auteur. Mais la mise en page d'un texte d'auteur, elle aussi, est une œuvre protégée. Les illustrations, schémas, photos, dessins, résumés sont autant d'œuvres protégées. Au départ, l'œuvre est la propriété exclusive de son auteur, même s'il est salarié. Celui-ci détient sur son œuvre un droit inaliénable (droit moral) qui lui garantit à perpétuité le respect de son nom et l'intégrité de son œuvre. Lui seul peut communiquer son œuvre au public et c'est à partir de cette divulgation que naît le droit d'exploitation qu'il est seul à pouvoir céder, en tout ou partie, à titre gratuit ou onéreux.
La question des exceptions au droit d'auteur
Dissipons d'emblée des illusions dans l'esprit des diffuseurs d'œuvres d'auteurs. Les seules exceptions au droit d'auteur qui puissent avoir leur place dans le monde de l'information-documentation sont la courte citation (3) et aussi la signalisation (référence), l'indexation (mots-clés) et la rédaction d'un résumé non substituable (4). Les revues de presse visées par la loi (5) ne correspondent pas à nos pratiques professionnelles. On en revient donc au monopole d'exploitation de l'auteur : toute représentation ou reproduction totale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est illicite (6). Réserve faite des exceptions citées ci-dessus, il faut donc obtenir ces accords.
Un droit qui se débite en tranches...
Retenons donc que tout procède de l'auteur personne physique. L'exploitation du droit d'auteur peut se détailler à l'infini. Un auteur peut ne céder qu'une petite part d'exploitation à un tiers (éditeur, employeur...) et garder pour lui ou céder d'autres partis. Autrement dit, le droit d'auteur se saucissonne. Il faut bien comprendre cette réalité si l'on veut saisir comment se gère ce droit.
Tant qu'il n'a rien cédé formellement (7), l'auteur reste propriétaire de son œuvre, même s'il est salarié, contrairement à une idée reçue. La direction du Figaro a dû en faire le constat lorsqu'elle a voulu, sans accord de ses journalistes, republier leurs articles dans une base de données de presse : elle n'était en fait cessionnaire que des droits d'exploitation pour le journal papier du jour... De sorte qu'elle ne pouvait céder au serveur de presse et à ses clients des droits qu'elle ne détenait pas elle-même. Les journalistes ont donc obtenu gain de cause en justice (8).
... qui se rétrocèdent
On comprend donc qu'un droit d'auteur ne se cède pas en bloc mais toujours en détails. Le cessionnaire des droits, par exemple l'éditeur, ne peut rétrocéder que des droits qu'il détient lui-même aux termes du contrat d'édition. À défaut, c'est à l'auteur qu'il faut s'adresser pour obtenir ces droits.
Le numérique : la chaîne des droits cédés
Plus encore que le papier, le numérique est propice à la génération de cessions en chaîne. De par sa nature même, le support numérique suppose une cascade de reproductions, celles-ci se définissant comme une fixation matérielle par tout procédé (9) d'une œuvre. Dès lors, les différentes migrations sur des supports numériques sont autant de reproductions qu'il faut avoir prévu dans la cession des droits auprès de l'auteur. Et il ne faut pas oublier le droit de représentation puisque l'œuvre sera vue sur écran. Si l'auteur n'a rien cédé par écrit - ce qui est fréquent -, il ne cède que le strict nécessaire de ses droits d'exploitation. Le cessionnaire ne pouvant céder plus de droits qu'il n'en a lui-même, on sera assez souvent dans une impasse, faute d'avoir soigneusement géré les droits en amont.
L'aménagement des droits pour la reprographie
En France, il est un régime spécifique qui d'ailleurs porte atteinte au monopole de l'auteur : en cas de publication, ce dernier est censé avoir cédé son droit de reproduction par reprographie à des sociétés de gestion collective chargées de percevoir des droits en leur nom (10). C'est le CFC (Centre français d'exploitation du droit de copie) qui est agréé pour ce faire. Pour contestable qu'elle soit quant au respect des auteurs et aux pratiques du CFC, ce système a le mérite de créer un guichet unique pour toutes les négociations de droits d'exploitation des auteurs. Mais ce régime ne vaut que pour le circuit papier. Il ne s'applique pas pour le numérique.
La gestion de droits sur support numérique : c'est pire...
En matière numérique, on en revient au principe de propriété de l'auteur, sauf s'il a cédé des droits à un tiers. La solution de principe est donc ingérable en pratique. Pour pouvoir stocker sur un intranet des articles de presse ou toute autre oeuvre, il faudrait d'abord s'enquérir auprès de chaque auteur pour savoir s'il détient toujours ces droits précis et négocier avec lui, ou sinon être renvoyé par ses soins vers le titulaire des droits numériques qu'il a cédés - à supposer qu'il en ait lui-même conscience.
L'autre solution consistant à approcher directement les éditeurs de presse n'est totalement fiable que si ceux-ci garantissent détenir tous les droits qu'ils cèdent et si le cocontractant, considéré comme un professionnel, vérifie la réalité des cessions. Et dans ce cas, il faudra autant de négociations qu'il y a d'éditeurs...
Quel que soit le montage envisagé, la chaîne de cessions des droits nécessaires à l'usage final doit être parfaite, de l'auteur au diffuseur.
La situation actuelle
Conscients que ces difficultés de gestion jouent contre eux, les éditeurs électroniques ont commencé à s'organiser. Quelques groupements se font jour. D'autres sont à l'étude. Pour l'entreprise désireuse de réaliser une diffusion numérique en interne dans la légalité, la situation varie en fonction des titres de presse visés et des types de d'usage prévus. La plupart du temps, ces solutions constituent une chaîne contractuelle incomplète : comment prévoir à l'avance tous les auteurs qui publieront dans un organe de presse et donc comment céder par avance leurs droits ?
Pour des panoramas de presse diffusés en intranet, il y a trois solutions, selon les titres :
- Négociation auprès du CFC agissant depuis le 6 juin 2002 en tant que mandataire privé de certains titres de presse (plus de deux cents actuellement (11) ;
- Négociation auprès de serveurs de presse autorisés à céder les droits nécessaires ;
- Négociation directe auprès des éditeurs lorsque :
- Les titres ne figurent pas dans l'un des cas précédents ;
- Il est possible de négocier sur des bases plus intéressantes, si ces éditeurs n'ont pas cédé de droits exclusifs aux précédents.
Certains prestataires de service de panoramas de presse sont intégrés au système CFC décrit ci-dessus. Leurs clients doivent donc passer par un accord avec cet organisme. D'autres peuvent s'associer aux serveurs de presse.
Pour le stockage durable des articles de panoramas de presse, le CFC est habilité, moyennant un surcoût, à céder ce droit. À défaut, il faut négocier avec les éditeurs.
Pour toute autre intégration d'œuvres sur un intranet et a fortiori pour toute exploitation sur un site Internet, la négociation avec chaque éditeur est nécessaire.
DROITS NUMÉRIQUES : AUPRÈS DE QUI NÉGOCIER ?
Usage
Interlocuteur |
Panoramas de presse sur intranet d'entreprises |
Stockage d'articles du panorama sur intranet |
Autre exploitation sur intranet |
Autre exploitation sur un site Internet
|
CFC agissant comme mandataire (pour certains titres) |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
Serveur de presse habilité (pour certains titres) |
OUI |
OUI* |
OUI* |
NON |
Éditeur disposant encore de ses droits |
OUI |
OUI
(mais surcoût)
|
NON |
NON |
*
à voir au coup par coup avec les prestataires
|cc| Didier Frochot — octobre 2003
Voir aussi :
Fiches synthétiques sur le droit d'auteur et Revues ou panoramas de presse, état du droit.
Notes :
1. Cet article est paru pour la première fois dans le Guide pratique Les publications électroniques d'Archimag en septembre 2003.
2. Par opposition au système de copyright, légèrement différent, notamment par l'absence formelle de droit moral. La plupart des pays du monde vivent sous le système de droit d'auteur à la française (Europe continentale, anciennes colonies francophones...) ou sous le système du copyright (Royaume Uni, USA, Commonwealth...). Parler de copyright en France n'a donc aucun sens juridique (le symbole © mentionne la protection de l'œuvre dans les pays de la Convention de Genève).
3. Art. L.122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle (CPI)
4. Trois pratiques admises par la jurisprudence Microfor / Le Monde
5. Art. L.122-5 3° b) CPI
6. Art. L.122-4 CPI
7. Art. L.131-3 CPI
8. Cour d'appel de Paris - 10 mai 2000
9. Art. L.122-3 CPI
10. Art. L.122-10 CPI
11. Cf. la liste sur leur site www.cfcopies.com