Google My Business et la justice

Nous avons déjà rendu compte de deux ordonnances de référé concernant une demande de suppression de la fiche Google My Business d'un praticien indépendant, au motif que la fiche était à son nom propre, ce qui constitue une traitement de données à caractère personnel au sens du RGPD et de la loi Informatique, fichiers et libertés du 6 janvier 1978 modifiée, ouvrant notamment droit à l'effacement (article 17 du RGPD). L'enjeu n'est pas au premier chef la présence d'une fiche professionnelle (dans le premier cas non sollicitée par le praticien), encore que la loi sur les données personnelles puisse jouer, mais indirectement de donner la possibilité de supprimer une fiche qui n'est peut-être pas utile au professionnel, mais dont les avis négatifs fallacieux peuvent vite ruiner sa réputation et par là même son activité.

Dans une première ordonnance, le président du TGI de Paris avait ordonné à Google la suppression de la fiche (6 avril 2018 - notre actualité du 20 avril).

La deuxième ordonnance du même tribunal, mais tranchée par un autre magistrat a récemment rejeté l'application de ces textes au motif que les données identifiant un professionnel "ne relèvent pas de la sphère privée" (12 avril 2019 – notre actualité du 23 avril). Le juge remarquait cependant qu'en cas d'avis négatifs, la victime (le praticien) disposait d'actions judiciaires sur le terrain de la diffamation - à supposer qu'il s'aperçoive de la présence de l'avis négatif dans les trois mois de sa publication : au-delà, le délit est prescrit -, ou encore sur celui du dénigrement, en application de l'article 1240 du Code civil.

Une troisième ordonnance de référé – cette fois-ci du TGI de Metz – en date du 16 juillet 2019, vient à nouveau d'opposer un refus d'ordonner la suppression de la fiche d'un médecin. Signalons que c'est le Conseil de l'Ordre des médecins de la Moselle qui a introduit l'affaire.

L'intérêt légitime de Google My Business

Les arguments juridiques invoqués sont plus complexes et dépassent le seul terrain des données à caractère personnel. Cependant, sur ce dernier terrain, l'analyse continue de s'affiner depuis les précédentes ordonnances puisque le juge relève que "Le consentement de la personne concernée par le traitement de données n’a pas besoin d’être recueilli en cas d’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement, sous réserve du respect de l’intérêt, des droits et libertés fondamentaux de la personne concernée au regard de la loi du 6 janvier 1978." En d'autres termes, Google a un intérêt légitime à créer des fiches de professionnels, quant bien même des données personnelles telles que les prénom et nom de celui-ci seraient utilisées, cet intérêt légitime retirant à l'intéressé le droit de donner et/ou de retirer son consentement, ainsi que de demander l'effacement.

Un refus de levée de l'anonymat des auteurs d'avis litigieux

Le médecin estimait que "l’anonymat des commentaires l’empêche de s’assurer que les avis sont déposés par des patients et l’empêche de demander aux auteurs la suppression des commentaires ou encore d’agir contre les auteurs."
Sur ce terrain, le TGI refuse la levée de l'anonymat. Un des motifs de ce refus peut paraître choquant :
"L’anonymat permet d’assurer la libre expression sur internet. En l’occurrence, les commentaires litigieux, s’il revêtent le caractère de l’anonymat, ne paraissent pas dépasser les limites de la liberté d’expression."
Cette dernière phrase est justifiée par le magistrat qui relève encore que le médecin n'apporte pas la preuve que les commentaires seraient illicites.
En clair, le médecin et son avocat n'ayant pas apporté la preuve suffisamment précise du fait que les commentaires étaient illicites, il y a lieu de les considérer comme relevant de la liberté d'expression, et dans ce cas, l'anonymat des auteurs n'a pas à être levé.
On peut supposer que dans le cas contraire (preuve du caractère illicite des propos, mensongers donc diffamatoires et dénigrants) le juge aurait peut-être envisagé la levée de l'anonymat.

Une fois de plus, nous ne pouvons qu'espérer (en sens français et espagnol du terme: attendre) les jugements au fond de ces trois litiges pour voir si les juges du fond suivront l'orientation juridique de ces ordonnances de référé qui – rappelons-le – ne tranchent pas le litige au fond mais interviennent en urgence sur la question de savoir s'il faut retirer à titre provisoire les propos objets du litige sans préjuger au fond de leur licéité.

Lire la volumineuse ordonnance de référé du TGI de Metz du 16 juillet 2019 sur le site Legalis.net.

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Didier FROCHOT