Nous nous pencherons aujourd’hui sur la problématique de la numérisation des images, toujours vue sous l’angle des aspects juridiques qu’elle suppose. Cett situation diffère de celle du recadrage ou de la retouche des images, déjà étudiés dans cette série.
Domaine privé ou domaine public ?
Il va sans dire que, comme pour toute autre œuvre d’auteur, une image, quelle qu’elle soit (photo, gravure, dessin, peinture…) ne peut être numérisée, c’est-à-dire reproduite au sens juridique du terme, sans l’accord de son auteur, à moins que l’œuvre ne soit tombée dans le domaine public ou qu’elle soit sous licence creative commons (voir le rappel de notre article sur ce sujet ci-dessous).
Pour ce qui est du domaine public, rappelons que la règle actuelle, dans l’Union européenne ainsi que dans un certain nombre d’autres pays du monde, est celle des 70 années civiles suivant l’année du décès de l’auteur (article L.123-1, al.2 du code de la propriété intellectuelle — CPI).
Passé ce délai, les droits d’exploitation de l’auteur tombent dans le domaine public, autrement dit il n’y a plus aucune autorisation à solliciter.
Droit moral pas mort
Mais... domaine public ou pas, le droit moral demeure puisque notre système juridique prévoit que celui-ci est "perpétuel" (article L.121-1 al.3). Rappelons là encore que la plupart des pays du monde reconnaissent aujourd’hui l’existence d’un droit moral dans leur législation (voir notre article sur le droit d'auteur à l'international, signalé ci-dessous).
Même si l’auteur ou un ayant-droit a régulièrement cédé des droits d’exploitation suffisants pour numériser l’œuvre — ou même si l’œuvre est dans le domaine public —, il convient de respecter ces droits moraux.
Il s’agit donc :
- De toujours mentionner le nom de l’auteur à côté de son œuvre (droit au nom ou droit à la paternité de l’œuvre) ;
- Et surtout de respecter l’œuvre et de ne pas en altérer la qualité ni l’intégrité (droit à l’intégrité de l’œuvre).
C’est sur ce dernier terrain que les choses peuvent prendre un tour fâcheux si l’on n’y prend pas garde. Une jurisprudence est venue apporter un jour particulièrement net à ce sujet, voici quelques années.
L’affaire Tintin
Une affaire tout à fait emblématique a défrayé la chronique du monde du droit de l’image en 2007.
Une société ayant numérisé et publié, notamment sur Internet, des planches de bandes dessinées issues de Tintin, la société Moulinsart, chargée de gérer les droits de feu Hergé, a attaqué celle-ci en contrefaçon pour divers motifs, dont notamment celui de reproduction imparfaite des dessins, portant atteinte au droit moral de l’auteur.
La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 14 mars 2007 (4ème chambre, section A, disponible sur le site Legalis.net), constate que : "sous l’effet de la numérisation, les dessins ne présentent plus, ni la même netteté de traits, qui apparaissent brouillés, ni la même qualité de coloris, alors que le dessinateur Hergé était réputé, dans le monde de la bande dessinée, pour la précision extrême de son trait, qualifié de « ligne claire »".
Les défendeurs ayant probablement invoqué le côté inévitable de la perte de qualité lors d’une numérisation en basse définition, la cour relève encore que "la comparaison à laquelle la cour a procédé de ces dessins à ceux reproduits sur le site internet de la société Moulinsart www.tintin.com démontre que la numérisation n’est pas incompatible avec la qualité du trait et le respect des couleurs".
Elle en conclut donc que "la reproduction des dessins, telle que réalisée par la société X, porte atteinte au droit à l’intégrité de son œuvre dont jouit l’auteur".
Cette décisions est lourde de sens et vient corroborer l’analyse que nous faisons sur la numérisation et de la compression d’image. Il convient de préciser que, sur ce seul terrain de l’atteinte "au droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre d’Hergé", la cour a condamné la société à 30 000 € de dommages-intérêts.
Des solutions ?
Tout d’abord, une solution à la fois de bon sens et de doigté technique : toujours faire en sorte que la numérisation d’une image rende le plus possible justice à la qualité de l’œuvre, du moins dans le contexte de sa publication sur le Net : rapport qualité-taille d’affichage. En effet, il est courant de numériser délibérément une image en base définition pour dissuader de tout piratage de celle-ci ; c’est donc souvent une mesure de protection de l’œuvre, dont on ne publie ainsi qu’un aperçu.
Ensuite, il serait le cas échéant judicieux d'aménager, dans l’accord d’exploitation que l’auteur a forcément donné, une clause par laquelle il autorise une certaine latitude de compression et donc de perte dans la finesse de l’image, sans pour autant l’enlaidir comme c’était le cas dans l’affaire visée. Nous avons déjà évoqué à propos du recadrage des images, la possibilité admise par la jurisprudence de renoncer ainsi à un droit moral pourtant inaliénable dans son principe.
En savoir plus
Sur la durée du droit d’exploitation : lire notre article Le casse-tête du calcul de la durée du droit d'auteur, du 5 janvier 2012.
Voir aussi :
Notre actualité du 5 octobre 2007 présentant la décision sur Tintin.
La décision intégrale sur le site Légalis.net :
www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=1926
Notre actualité du 8 novembre dernier sur le recadrage des images.
Notre fiche sur Les actes de cession de droit d’auteur.
Notre article sur Les licences creative commons.
Notre article sur Le droit d'auteur et les droits voisins dans un contexte international.