Dans les formations que nous dispensons régulièrement sur les questions de droit d'auteur en information-documentation, nous ne manquons jamais de signaler l'exception de courte citation qui en vérité constitue un des espaces de liberté les plus intéressants pour les métiers du secteur : documentalistes, bibliothécaires, archivistes, mais aussi pour tous les producteurs de sites et autres blogueurs.
Bien utilisée, en cumulant quelques points de passage obligatoires (voir notre fiche conseil sur le sujet), la courte citation offre des possibilités assez étendues.
Bien citer ses sources
Parmi ces points de passage obligés, donc ces obligations légales, figure l'obligation de citer "clairement le nom de l'auteur et la source" (art. L.122-5 3° a, du code de la propriété intellectuelle). Il est rare de devoir insister sur ce point pour des publics appartenant au secteur de l'information documentation, puisque c'est un réflexe professionnel, doublé d'une sécurité quant à la responsabilité du fournisseur d'information : en citant sa source, on reporte la responsabilité d'une éventuelle erreur préjudiciable sur la source.
Gare aux oublieux et autres parasites...
Telle n'est cependant pas forcément l'habitude du grand monde des médias et du Web. Nombreux sont les blogueurs qui omettent, avec plus ou moins d'honnêteté intellectuelle, de citer leur source. Nous avons dû à plusieurs reprises mettre les choses au point pour des sites ou blogs qui avaient consciencieusement "pompé" des Dossiers spéciaux des Infostratèges en toute impunité, sans citer la source, c'est-à-dire en s'appropriant notre travail.
Précisons que le fait qu'un site publie sous licence Creative Commons, donc en accès "libre" ne signifie pas qu'on puisse faire tout et n'importe quoi avec son contenu. L'obligation de citer l'auteur demeure dans toutes les variantes de la licence Créative Commons (voir notre article sur ces licences). L'argument de l'accès libre (Open Access) ne tient donc pas.
... La justice veille
Les règles de l'exception de courte citation ont connu récemment la sanction de la jurisprudence.
Un Journaliste du Midi Libre avait reproduit entre guillemets des propos explicatifs issus d'un article d'une lettre d'information économique de la région Langudeoc Roussillon, sans citer la source. L'affaire est montée jusqu'à la 1ère chambre civile de la Cour de cassation qui dans son arrêt du 22 octobre 2009 a considéré que "La reproduction entre guillemets mais sans indication de source dans un quotidien à grand tirage de l’interview publiée par un journal spécialisé et menée à partir d’un investissement intellectuel et matériel constitue, en raison de la captation des renseignements ainsi obtenus par un confrère, un comportement parasitaire" (résumé établi par la Cour de cassation).
Notons deux aspects intéressants de cette décision :
- Le Midi Libre avait invoqué la liberté de circulation de l'information, garantie par l'art. 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertés fondamentales du Conseil de l'Europe, arguant de la libre reprise des informations extraites de la publication économique. La Cour de cassation n'accueille pas cette analyse au motif que l'interview publiée par la lettre économique avait nécessité un travail et un investissement importants de la part du journaliste. C'est sans doute pourquoi, plutôt que de se placer sur le seul terrain du droit d'auteur et de l'originalité de l'œuvre, les débats se sont portés sur un terrain plus sûr.
- Le litige s'est en effet placé, non sur le terrain du droit d'auteur, mais sur celui de la concurrence parasitaire : les dirigeants de la lettre d'information ayant estimé avoir subi un préjudice du fait de la reprise de propos à haute valeur ajoutée, réutilisée par le Midi Libre qui bénéficiait de ce travail sans rien avoir investi, ce qui est la définition même du parasitisme. Cette circonstance justifiait donc que l'éditeur de la lettre économique puisse demander - et obtienne l'allocation de dommages-intérêts (7500 € infligés par la cour d'appel de Montpellier le 1er juillet 2008, et 2500 € par la Cour de cassation pour les frais de justice des plaignants — art. 700 du code de procédure civile).
Voir la décision de la Cour de cassation sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?&idTexte=JURITEXT000021194218
L'exception de courte citation dans le code de la propriété intellectuelle, sur Légifrance (art. L.122-5 3)° a) :
www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000020740486&cidTexte=LEGITEXT...