Vous avez dit exception légale?
Une laconique exception dans la loi du 11 mars 1957
Il existe une exception légale de revue de presse (art. L.122-5 3°b du code de la propriété intellectuelle). Mais que recouvre-t-elle ? La loi ne précise rien. Les débats parlementaires de 1956-57 montrent que le législateur visait les revues de presse réalisées par les organes de presse, comme une sorte d’échange de bons procédés entre eux. Et de fait, à l’époque, aucun service de documentation ne réalisait de « revue de presse », même au sens donné à cette expression dans nos métiers. Le législateur ne pouvait donc viser que les revues de presse de la presse. Mais la loi est restée muette.
Une définition jurisprudentielle générale ?
Il fallut attendre que la jurisprudence se prononce sur la question. La chambre criminelle de la Cour de cassation a donné cette définition dans un arrêt du 30 janvier 1978. Mais cette définition, sortie de son contexte, a été largement extrapolée, alors qu'il ne s'agit que d'une décision circonscrite au monde de la presse.
Le contexte de l’affaire
Le journaliste Jean Ferniot réalisait tous les jours une « chronique » sur RTL. Certaines de ces chroniques étaient reprises en transcription intégrale dans les colonnes d’un hebdomadaire de l’époque, Carrefour, avec mention de la source, mais sans accord de l’auteur ni de la station de radio. Une action en contrefaçon fut donc diligentée à l’initiative de RTL et du journaliste contre le périodique. Celui-ci se retrancha derrière l’exception de revue de presse.
Une solution limitée au contexte de l’affaire
C’est alors que la Cour de cassation, au détour du débat juridique et parmi d’autres arguments, a considéré que « la revue de presse, telle que la prévoit l’article 41 [aujourd’hui L.122-5 CPI] susvisé, suppose nécessairement la présentation conjointe et par voie comparative de divers commentaires émanant de journalistes différentiels et concernant un même thème ou un même événement » et confirmait la condamnation de l'hébdomadaire Carrefour en contrefaçon.
Sur le plan juridique, il s’agit d’un arrêt d’espèce, qui ne règle la question qu’entre les parties au procès, sans prétendre à aucune portée générale.
Première constat : la solution ne vaut que pour ce cas qui — à l’évidence — n’était en rien une revue de presse, mais bien la reproduction illicite d’œuvres d’un seul journaliste.
Deuxième constat : à supposer qu’on veuille attacher à cet arrêt une portée plus générale, puisqu’il émane de la Cour de cassation, il convient de circonscrire cette définition à un contexte similaire à l’espèce, en l’occurrence dans le cadre de relations entre organes de presse. Ce qui confirme l’esprit des débats parlementaires de la loi de 1957.
Mais en aucun cas cette solution ne constitue un arrêt de principe, édictant une règle générale, dépassant le contexte des organes de presse et qu’on pourrait appliquer à la pratique documentaire ou des services de communication.
Solution pour les revues de presse en information-communication
En conséquence, toutes les fois où un produit nommé revue de presse est réalisé dans les métiers de l’information-communication, dès lors qu’il n’entre pas dans le cadre d’autres exceptions au droit d’auteur, celui-ci ne peut se faire qu’avec l’accord des titulaires de droit. La qualification extra-juridique de panorama de presse, inventée par le CFC, peut être accueillie pour différencier ce type de produit des revues de presse.
Le projet de loi DADVSI muet sur le sujet
La loi telle que votée et promulguée le 1er août 2006 ne prévoit rien sur la question. L’art. L.122-5 3° b) est maintenu sans autre précision. Pourtant la directive d’origine, définit la revue de presse dans une formule parlante : « c) lorsqu'il s'agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d'articles publiés sur des thèmes d'actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d'œuvres radiodiffusées ou d'autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n'est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l'auteur, soit indiquée, ou lorsqu'il s'agit de l'utilisation d'œuvres ou d'autres objets protégés afin de rendre compte d'événements d'actualité, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi et sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur » (art. 5, 3 c). Le législateur a encore manqué une occasion de préciser le flou de la loi française.
En pratique, quelle revue de presse peut-on réaliser librement ?
Quel que soit l’intitulé du produit documentaire ou de communication, rappelons les limites juridiques et la pratique qui est libre.
La reproduction intégrale ou partielle illicite
Dès l’instant qu’une œuvre d’auteur est copiée en tout ou partie — hormis pour l’usage privé du copiste et les œuvres libres de droit —, il faut l’accord du titulaire de droit.
Il s’ensuit que les revues de presse documentaires ou de services de communication, en texte intégral, les dossiers de presse (qui de surcroît ne présentent pas de caractère périodique) réalisés pour être à la disposition des usagers, confectionnés pour un usager défini, ou encore constitués pour la communication de l’entreprise, supposent un accord avec les titulaires de droit.
Lorsque ces produits sont réalisés sur papier et à partir de publications papier, le CFC agréé est le guichet unique auquel il convient de s’adresser.
Dans tous les autres cas (exploitation numérique), il faut soit négocier avec les éditeurs un par un, soit trouver des guichets communs, regroupant un portefeuille de titres de presse : agrégateurs de presse (le leader français, Pressedd, groupe plusieurs milliers de titres de presse à ce jour, le leader mondial, Lexis/Nexis environ 40 000 titres), certaines agences d’abonnement ou prestataires de produits documentaires, ou encore — pour les seuls panoramas de presse en intranet — : le CFC, mandaté par environ 10 000 titres de presse française et étrangère. À noter que depuis quelques années, le CFC est mandaté par certains titres de presse pour toute exploitation numérique.
La pratique des courtes citations licite
De nombreuses « revues de presse » sont en fait des bulletins bibliographiques signalant des articles, mentionnant quelques mots-clés ou rubriques de rattachement et présentant de courtes citations de l’article. Cette pratique est licite, comme l’a confirmé la célèbre jurisprudence Le Monde / Microfor, notamment parce qu’elle met en œuvre des citations licites.
La pratique des résumés : licite sous condition
Une variante consiste à rédiger un résumé documentaire. Pour qu’il soit licite, la même jurisprudence ne pose qu’une condition, souvent interprétée restrictivement, au point que le GESTE voudrait interdire cette pratique : il suffit que le résumé soit « exclusif d’un exposé complet » de l’œuvre (Cour de cassation, Assemblée plénière 30 octobre 1987, Le Monde / Microfor — deuxième arrêt de cassation).
Les revues de sommaires : licites, avec un bémol
Les revues de sommaires, dans la mesure où elles ne reprennent que le sommaire stricto sensu des périodiques, m’empruntent que des éléments signalétiques, comme un bulletin bibliographique. Cet aspect est donc libre. En revanche, la mise en page du sommaire est une création protégée par le droit d’auteur. Une solution serait donc de recopier les éléments libres du sommaire sous une autre mise en page…
Pour conclure
Une fois de plus, nous constatons que le droit d’auteur n’est pas adapté à la société de l’information et entrave largement le travail des professionnels de l’information. Et ce n’est pas la transposition timorée de la directive DADVSI en droit français qui a amélioré les choses…
Une solution émergente : les revues de presse licites
L’avènement du tout numérique et l’omniprésence de nombreuses sources de presse sur Internet conduisent à des solutions techniques infiniment plus libres juridiquement : les panoramas de presse par voie de liens hypertextes, ou mieux : par flux RSS.
Les liens hypertextes licites et libres
La mise en place de liens hypertextes, quoi qu’en aient dit certains juristes, est libre en soi, pour peu que ceux-ci soient présentés sans aucune équivoque et laissent bien à penser que le lien pointe vers un autre site (intitulé précis, ouverture systématique dans une nouvelle fenêtre du navigateur — voir notre article sur le sujet).
Des revues de presse par voie de liens
Dès lors, la pratique de panoramas ou revues de presse en ligne se bornant à signaler les articles complètement (titres, auteur, date, source…) à les associer à des mots-clés et à fournir le lien, est libre. Certes, on objectera que si l’article visé est passé en archive payante, le lien ne sera plus efficace : mais il l’aura été pendant le délai d’actualité brûlante et rien n’empêche le centre de documentation d’avoir souscrit quelques abonnements électroniques auprès des grands titres de presse, nettement moins coûteux que les sommes exigées par les agrégateurs. En outre, de nombreux articles restent souvent longtemps en accès ouvert, sans parler des titres, de plus en plus nombreux qui ouvrent leurs archives gratuitement (La Tribune, Libération…)
Des revues de presse par voie de flux RSS sélectifs
Il est possible d’aller plus loin en s’abonnant aux flux RSS généraux ou thématiques des sources jugées pertinentes pour ses usagers. En couplant ces abonnements à un lecteur de flux RSS qui permet de sélectionner une à une les actualités issues de ces flux — comme par exemple Google Reader —, il devient possible de construire une revue de presse thématique sur mesure sur son intranet sans frais autres que le temps quotidien de lecture et de sélection des actualités.
De nombreuses autres solutions peuvent être envisagées : en vérité, grâce aux outils du Web 2.0, l’imagination documentaire est au pouvoir…
|cc| Didier Frochot — octobre 2010
Voir aussi :
Fiches synthétiques : Résumés documentaires — Exception de courte citation
Articles : Comment négocier avec le CFC, Publication électronique, le point sur le droit d'auteur et La question des liens hypertextes