La fonction documentaire condamnée à un brillant avenir

Vous avez dit documentaliste ?

Assez de querelles sur ce nom et sur son image poussiéreuse. Tout, et même son contraire, se dit là-dessus, depuis vingt ans. Pour mettre tout le monde d'accord, dans un premier temps, clamons que peu importe le nom : c'est ce qu'on met derrière qui importe. En d'autres termes, on ne change pas la mentalité d'une profession et de ses clients en changeant de nom, au risque de diluer l'image qu'il véhicule encore. Par ailleurs, on ne change pas le nom d'une profession par décret ; cela se fait naturellement ; cf. les secrétaires devenues aujourd'hui des assistantes, sans soubresauts majeurs.

Remettre quelques idées en place

Sur le terrain des noms du métier toujours, quant à leur multiplicité cette fois, les documentalistes ignoreraient-ils la linguistique et les thésaurus ? Ne peut-on considérer comme terme générique le mot documentaliste, sous lequel viennent se ranger les autres appellations comme autant de termes spécifiques ? Nul n'a jamais contesté l'appellation générique d'informaticien, qui pourtant couvre tous les métiers du secteur, de l'ancien perfo-vérificateur de base au directeur général informatique, en passant par l'analyste programmeur, le développeur, l'ingénieur informaticien, etc. C'est là que nous suggérons un peu d'ordre dans les esprits. Il ne faudrait d'ailleurs pas mêler les notions de profession, de métier, de poste et d'emploi, surtout si l'on prétend, par ailleurs, exercer sa mission documentaire avec rigueur ! Or, parmi les appellations citées dans les débats, on trouve en général un peu de tout, indistinctement.

Les besoins des entreprises

Pas un instant, dans les débats observés depuis quelques années n'a été évoquée la question pourtant cruciale, des besoins des entreprises, utilisatrices de nos professions. Il est pourtant absolument évident que c'est la seule vraie question. Le jour où les documentalistes rendront aux entreprises tous les services qui entrent dans leurs compétences, on cessera de trépigner pour se « faire reconnaître » : on s'imposera, tout simplement parce qu'on sera non seulement utiles, mais indispensables. Le prestige dont jouissent les informaticiens est là pour nous le montrer.

Mais alors, quels peuvent bien être ces mystérieux besoins auxquels notre métier ne répondrait pas. Ceux-ci sont connus, décrits depuis près de dix ans (cf. bibliographie). Nous nous bornons à les lister ici :

  • Besoins de gestion documentaire pure et dure : la GED a été investie par les informaticiens et les ingénieurs. Elle revenait aux documentalistes, pour des raisons que nous avons expliquées ailleurs (cf. bibliographie).
  • Besoins en gestion de l'information interne : les documentalistes se cantonnent, sauf exceptions, à la documentation externe à l'entreprise. Mais quelle honte y a-t-il à gérer la documentation technique d'un moteur d'avion ou les contrats type de l'entreprise ? Et ce genre d'enjeu, directement productif, est très valorisant pour ceux qui le gèrent. Or les techniques de traitement de l'information étant les mêmes, les documentalistes sont tout à fait armés pour cela. Mais dans la plupart des cas, ils ne sont pas présents sur ces terrains.
  • Besoins en administration technique de l'information : l'informatique documentaire est aujourd'hui dépassée par tous les systèmes de gestion avancés : moteurs de recherche linguistiques, groupware, workflow, intranet, bases Notes, qui font partie intégrante de notre champ d'activité. Il est fondamental qu'un bon professionnel soit formé à toutes ces techniques, et, soit les maîtrise, soit puisse être suffisamment formé pour pouvoir diriger des processus en collaboration avec les informaticiens.
  • Besoins d'administration des connaissances dans l'entreprise : le besoin fondamental qui anime celui qui sort de son bureau pour se rendre au service de documentation ou qui le propulse sur Internet n'est pas comme on le dit tout le temps le besoin d'information, mais celui d'accroître ses connaissances. L'information n'a d'intérêt que par la connaissance qu'elle véhicule. Les bases de connaissances sont donc l'avenir de la documentation et le management des connaissances est l'enjeu fondamental de ce début de siècle dans les entreprises. C'est presque une révolution copernicienne, un changement d'espace mental qui s'opère là et qu'on n'a pas encore saisi comme tel. Or sur ce terrain aussi, les documentalistes bien formés sont les mieux à même d'exercer ces fonctions de direction des opérations en matière de ce que les anglo-saxons nomment Knowledge management ou KM et dont nous préférons utiliser la traduction française.

Paradoxes et raisons d'espérer

Nous somme entrés, depuis une ou deux décennies déjà, dans cette société de l'information, où l'essentiel de la valeur marchande est l'information. Il est bien évident que s'ils savent s'y prendre (en termes de marketing notamment et d'affirmation professionnelle de soi) les documentalistes disposent d'un pont d'or. Les enjeux, encore plus formidables, de management des connaissances leur offre un tremplin de rêve. Les lamentations sur le sort de la profession sont donc hors de saison et tous les professionnels qui y croient peuvent s'attaquer avec enthousiasme à ces nouveaux créneaux.

|cc| Didier Frochot - janvier 2002 - mars 2004

Nota : Une première mouture de ce texte est parue en janvier 2002 dans Le Booléen, journal interne des élèves de l'EBD (École de bibliothécaires documentalistes) de l'Institut catholique de Paris (http://www.ebd.fr).

Voir aussi : Des techniques documentaires aux technologies de l'information... (Jacques Chaumier)

Bibliographie indicative

Laurent Bernat : Pour en finir avec la crise d'identité des documentalistes ! - Mémoire pour le diplôme supérieur. - Paris : INTD, novembre 1994. Excellente analyse, toujours actuelle, au scalpel, de la crise d'identité de la profession. Parfois très caustique mais stimulant.
Laurent Bernat : L'information-documentation, notre secteur d'activité in Documentaliste, Sciences de l'information, 1995, Vol. 32 n°6 p.270-282. Article qui reprend et approfondit certains aspects du mémoire cité.
Didier Frochot : Comment situer le service documentaire dans la structure générale de l'entreprise in Documentaliste, Sciences de l'information, 1995, Vol. 32 n°6 p.303-208. - Bientôt disponible sur ce site.
NB : l'ensemble du numéro 6 du volume 32, daté novembre-décembre 95, porte le sous-titre Réflexion prospective pour une profession en évolution. Beaucoup d'arguments essentiels s'y trouvent, mais on aime tellement réinventer les mêmes débats tous les dix ans...
Jean Pintéa : Reengineering des systèmes documentaires. - Paris : Les éditions d'organisation, 1995. - 168 p. Tous les enjeux documentaires de l'entreprise y sont présentés, le documentaliste, nommément désigné, étant mis au centre de ceux-ci.

Didier FROCHOT