Les noms de domaine (3) : les noms de domaine géographiques

I. Le principe des TLD géographiques

Les TLD géographiques sont bâtis selon un code par pays sur deux caractères (contre trois pour les TLD génériques), largement inspiré de ceux définis par le code ISO 3166. Nous précisons « inspiré de », du fait que certains TLD de pays ne respectent pas le code ISO. Ainsi en est-il - c'est le cas le plus marquant mais non le seul - du Royaume-Uni dont le code pays est GB et le ccTLD .uk, comme le savent les habitués du net, ce qui est d'ailleurs un choix plus logique, politiquement parlant.

II. Règles spécifiques à certains pays particuliers

Dans les hasards du code ISO, il se trouve que certains pays, parfois minuscules, ont hérité d'un TLD « que le monde entier leur envie ». C'est le cas du paisible archipel de Tuvalu, paradis d'Océanie de 26 km² de surface totale et peuplé d'un peu plus de 10.000 polynésiens (Source CIA : World Factbook : https://www.cia.gov/library/publications/world-leaders-1/world-leaders-t/tuvalu.html). Cette ancienne possession britannique devenue État indépendant en 1978 se voit attribué le code TV... Une société américaine nommée DotTV ou .tv (dot en anglais signifiant point) a racheté l'usage du nom de domaine de cet État pour 50.000 $ à verser sur douze années, doublant ainsi pratiquement le produit national brut de ce pays... (Source AFP dépêche du 11 avril 2000). Le TLD .tv attire bien sûr un grand nombre de déposants des USA et de tous pays en raison de la signification de l'abréviation tv dans beaucoup de langues.
D'autres pays jouissent du même avantage involontaire. Les plus connus sont .nu (îles Nioué, se prononce comme new en anglais...) .to (Tonga) et autre .tm (Turkménistan, comme trade mark)...

III. Les gestionnaires des TLD gèographiques

Les TLD de chaque pays sont gérés par les instances de l'Internet propres à chaque pays. Ces instances sont toutes des « Network information centers », des NIC. C'est pourquoi, par convention, les adresses des sites des instances des pays sont toutes bâties sur la même syntaxe : www.nic.pays (l'AFNIC a cependant récemment adopté également l'adresse www.afnic.fr, doublant le www.nic.fr ; les deux fonctionnent).

IV. Le système français de l'AFNIC

En France, c'est l'AFNIC (Association française du nommage (1) de l'Internet en coopération) qui gère le domaine supérieur .fr. C'est elle qui édicte les règles de nommage en coopération avec les partenaires professionnels. Ainsi ont été créés des sous domaines tels que .gouv pour les sites gouvernementaux ou .asso pour les associations. Le système est donc très structuré, hiérarchisé - on aimerait dire « à la française »...

V. Une gestion à la française

Les caractéristiques de ce que nous nommons souvent gestion à la française n'emportent pas forcément une adhésion enthousiaste. Fort heureusement les règles se sont un peu assouplies récemment. Nous présentons ci-après la rigueur des règles de départ, pour ensuite exposer les réformes récentes.
D'une part, pour déposer un nom de domaine, il fallait y avoir droit (règle dite du « droit au nom »). Ce postulat de principe est louable dans son intention. Mais tel qu'il s'appliquait, il faisait souvent fuir les déposants vers des systèmes moins contraignants, sans pour autant qu'on puisse les suspecter de fraude.

A. Être titulaire d'un droit pour déposer

Pour déposer directement sous .fr, sans autre sous domaine, il fallait justifier soit du nom de l'entreprise telle que déposée au registre du commerce et des sociétés (et produire le fameux extrait Kbis), ou au registre des métiers ou encore celui des professions libérales.
Si une entreprise voulait déposer, non pas son nom, mais une de ses marques en nom de domaine sous .fr, elle devait d'une part produire le certificat de dépôt de marque - ce qui n'est en rien choquant - et elle était surtout obligée de se loger sous de sous domaine .tm.fr, ce qui alourdissait d'autant la communication.
Une simple particulier qui souhaiterait déposer son nom en domaine sous .fr se retrouverait, après justification de son identité, en sous domaine .nom.fr.

B. La lourdeur des sous-domaines

Ces quelques exemples montrent déjà la lourdeur du système. Mais il prend des proportions qui confinent au règne d'UBU Roi dans les quelques cas suivants...
Un cabinet de trois experts-comptables veut déposer un nom de domaine. Imaginons qu'aucun des trois ne veut céder la préséance à l'autre. Compte tenu des règles de nommage, nos experts vont entrer dans le sous domaine « experts-comptables.fr », au pluriel. On aura donc, par exemple, les trois noms entre tirets « dupond-martin-durand.experts-comptables.fr » ! Quel client pourra mémoriser une telle adresse ?
Un cabinet de géomètres experts veut lui aussi son nom de domaine. Prenons la même équipe de confrères. Le résultat, au pays de Descartes, devrait être identique dans son principe à l'exemple précédent. Il n'en est rien puisque nos gens vont se trouver enregistrés ainsi : « dupond-martin-durand.geometre-expert.fr »... au singulier bien sûr !
En effet, dans un cas, le sous domaine est au singulier, et dans l'autre, au pluriel... Tous les métiers sont ainsi pris soit au singulier, soit au pluriel sans qu'on puisse trouver une logique en cela et avec des longueurs propres à faire fuir les titulaires de droits.
Pour les collectivités territoriales, la syntaxe adoptée était la suivante :
Communes : ville-nom de la ville.fr ou mairie-nom de la ville.fr, le nom de la ville pouvant être attaché ou entre tirets pour les noms composés (Saint Germain en Laye...)
Départements : cg.fr (ex. cg13.fr) totalement dépourvu de poésie, mais efficace dans sa concision...
Régions : Nom de la Région.fr (ex. bourgogne.fr) avec les mêmes observations pour les noms composés que pour les communes.
Toutes ces règles se sont peu à peu allégées pour être largement libéralisées lors d'une importante réforme.

VI. La réforme des règles de l'AFNIC

Les contraintes les plus absurdes avaient déjà disparues lors de précédents toilettages de la charte de nommage de l'AFNIC. C'est ainsi qu'il n'était plus obligatoire au dépositaire d'une marque ne correspondant pas au nom de son entreprise de déposer sous .tm.fr. Cela pouvait se faire directement sous .fr. L'ancienne règle stupide avait fait fuir les titulaires de marques sous le .com ou autres. Et les très grosses entreprises n'hésitaient pas à créer une société fictive pendant 48 heures, le temps d'obtenir le Kbis et ainsi déposer leur marque directement sous le .fr...
De même, les communes n'ont plus l'obligation de déposer sous « mairie-... » ou « ville-... ».
La réforme essentielle est celle conduite début 2004 et qui a pris effet à partir du 11 mai de cette année. La nouvelle charte de nommage et des pages de présentation sont disponibles sur le site de l'AFNIC (www.afnic.fr).

A. Les points saillants de la réforme

L'essentiel tient en l'abandon du principe du « droit au nom ». Mais tout déposant doit toujours avoir un lien avec la France (nationalité, résidence ou marque déposée en France).

B. Une ouverture en deux phases

Dans un premier temps (entre le 11 mai 2004 et début 2005), seules les personnes identifiables sur une des bases de données nationales de l'INPI, de l'INSEE ou des greffes sont autorisés à déposer un nom de domaine direct sous .fr, quel que soit ce nom.
À partir de début 2005, les particuliers et les associations non immatriculées à l'INSEE devaient pouvoir bénéficier du même droit. Il semble qu'il y ait eu quelque retard dans l'ouverture de cette deuxième phase.

VII. La reconnaissance juridique des organismes gérant les noms de domaine en France

La loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 « relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle » prévoit dans son art. 24 d'ajouter un art. L.45 au code des postes et télécommunications. Le § I de cet article prévoit la désignation par le « ministre chargés des communications électroniques des « organismes chargés d'attribuer et de gérer les noms de domaine, au sein des domaines de premier niveau du système d'adressage par domaines de l'Internet, correspondant au territoire national » (art. L.45 I al.1er). L'alinéa 6 du même texte prévoit qu'un décret en Conseil d'État précise en tant que de besoin les conditions d'application de l'article.

|cc| Didier Frochot — octobre 2005

Voir aussi : Les noms de domaine de l'Internet (introduction), Deux mots d'histoire et de technique pure... et Les noms de domaine génériques.

Notes :

1. Les puristes de notre belle langue souffriront peut-être de ce néologisme. Celui-ci nous gêne moins que d'autres parce qu'il présente le mérite de désigner une réalité précise que le terme français nomination ne vise absolument pas compte tenu du sens qu'il a pris couramment.

Didier FROCHOT