Dans un contentieux ayant opposé les humoristes Omar et Fred à la célèbre plateforme de partage vidéo, la justice a été amenée à rappeler les principes de la Loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Les deux humoristes et leur maison de production reprochaient à Youtube de n’avoir pas retiré des vidéos publiées au mépris de leurs droits de propriété intellectuelle, alors même qu’ils avaient fait dresser constat d’huissier et alerté la plateforme.
Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement rendu le 22 septembre 2009 a constaté et rappelé quelques points essentiels :
- Contrairement à ce que soutenaient les avocats des plaignants, Youtube n’exerçant qu’un contrôle technique sur la mise en ligne des vidéos ne peut être considéré comme un éditeur, mais comme un simple hébergeur ;
- Hormis les cas de contenus manifestement illicites relevant de pédophilie, de crime contre l’humanité ou d’incitation à la haine raciale, l’hébergeur n’est responsable des contenus que « pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des vidéos stockées ou de faits faisant apparaître ce caractère » ;
- « L’article 6-I.5 de la loi du 21 juin 2004 prévoit explicitement que l’internaute qui veut faire cesser une mise en ligne qu’il estime constituer une atteinte à ses droits, doit adresser à l’hébergeur une demande qui identifie clairement les vidéos litigieuses de façon à permettre à la société qui n’a pour objet que de stocker et mettre en ligne ces œuvres, de les reconnaître dans la masse des documents mis en ligne et de les retirer. Il doit faire la description des faits litigieux et donner leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits » ;
- Or, les plaignants n’ont jamais apporté les éléments d’identification précise permettant à l’hébergeur de retrouver ceux-ci en vue de bloquer l’accès. Ils ne peuvent reprocher à Youtube de n’avoir pas « agi promptement » comme l'exige la loi.
Cette décision vient encore préciser les contours de l’application de la responsabilité de l’hébergeur, et alimenter la jurisprudence sur les gestionnaires de plateformes, à mi-chemin entre des hébergeurs stricto sensu, simples loueurs d’espace disque, et les éditeurs, pleinement responsables des contenus.
Sur le plan de la responsabilité des hébergeurs, on sait déjà que la procédure de l’article 6-I.5 n'est pas forcément nécessaire pour alerter un hébergeur (affaire Bayard Presse c/ Youtube, TGI Paris 10 juillet 2009, citée dans notre actualité du 23 septembre dernier). Conformément aux termes de l'article de la loi visé, la présente décision rappelle, qu’en tout état de cause, l’alerte doit comporter des éléments d’identification précis pour permettre à l’hébergeur d’agir sans avoir à chercher un aiguille dans une botte de foin.
Sur le plan de la responsabilité des gestionnaires de plateformes (notre actualité du 8 janvier 2008) le balancier continue à osciller entre qualification d’hébergeur ou celle d’éditeur, toujours en fonction du degré d’implication et de contrôle des contenus. Ici l’analyse s’affine puisque les plaignants ont fait remarquer que certains contenus vidéo sont publiés par Youtube lui-même. Cette particularité amène les juges à déclarer que « force est de constater que cette activité qui peut procéder d’une activité éditoriale ne concerne pas son activité de stockage des vidéos des internautes dont font partie les vidéos litigieuses ».
Voir un extrait du jugement du TGI de Paris sur Juriscom, ainsi que la décision complète en pdf :
www.juriscom.net/jpt/visu.php?ID=1143