La notion de patrimoine immatériel est sortie du cercle des initiés pour passer dans le grand public lorsque l'UNESCO, voici quelques semaines, a déclaré la gastronomie française comme patrimoine immatériel de l'Humanité.
Mais cette notion tend à s'implanter de plus en plus, dans une acception plus juridique que culturelle, au sens de propriété, dans le monde des entreprises.
Qu'est-ce que le patrimoine immatériel ?
Il s'agit de tout ce qui n'est pas matériel dans l'entreprise... Derrière cette lapalissade, se cache une réelle dimension stratégique.
Le droit des biens et les techniques comptables de l'entreprise sont, depuis des lustres, habitués à consigner et à chiffrer les biens matériels de l'entreprise. Le patrimoine matériel d'une entreprise, nommé en langage comptable "immobilisations" est ainsi pris en compte, à l'actif du bilan de celle-ci. On y trouve ainsi les immeubles détenus par l'entreprise, mais aussi tous les autres biens matériels qui sont conservés plusieurs années (meubles de bureau, matériels informatiques, parc automobile...) Tout ceci est comptablement indiscutable et traditionnellement défini.
Certains biens immatériels identifiés
On pourrait bien sûr ajouter certains biens immatériels de l'entreprise, comme par exemple les marques, les brevets déposés ou exploités... Là encore, comptablement on sait faire apparaître ces investissements immatériels.
Mais déjà une question se pose de plus en plus : la marque de l'entreprise, portée dans les comptes de la société pour la somme dépensée pour le dépôt de cette marque vaut-elle réellement cette modique somme ou a-t-elle acquis, comme l'action d'une entreprise cotée en bourse, une valeur bien supérieure du fait du prestige de la marque ?
Tant aux États-Unis qu'en Europe, la question se pose de réévaluer ces immobilisations immatérielles à leur juste valeur, non plus purement comptable, mais en valeur de marché : combien vaudrait la marque et le logo d'une entreprise au moment de sa revente ? Et là, autre question : comment calculer cette valeur ? selon quelle méthode ?
D'autres biens immatériels
Mais le patrimoine immatériel ne se limite pas à ces quelques éléments parfaitement identifiés et encadrés juridiquement.
Ainsi existent également les noms de domaines détenus par l'entreprise. Le plus souvent gérés par le service marques et brevets, on peut facilement risquer un raisonnement par analogie avec ceux-ci.
Mais le patrimoine immatériel, c'est aussi toutes les autres créations intellectuelles de l'entreprise, c'est-à-dire toute la production des personnels et dirigeants, couverts par le droit d'auteur et/ou les droits voisins.
Qu'en est-il ainsi des photographies et textes réalisés soit en interne, soit par des prestataires externes qui en principe doivent céder des droits d'exploitation sur leurs créations à l'entreprise ?
Qu'en est-il des nombreux logos et matériels graphiques, notamment ceux utilisés par les services de communication, pas forcément déposés en marque ou dessins et modèles ?
Voici quelques questions qui mettent sur la piste de ce qui pourrait bien être que la partie émergée de l'iceberg...
Bien d'autres biens immatériels
En efft, si l'on va plus loin, tout le savoir-faire qui fait la vraie richesse de l'entreprise, sans laquelle l'entreprise n'est rien, participe également du patrimoine immatériel, à l'instar du savoir-faire collectif qu'est notre gastronomie nationale. On rejoint ici la notion culturelle de patrimoine immatériel. En d'autres termes, tout ce que les salariés d'une entreprise savent faire, toute la richesse des équipes — qui vaut plus que la somme des individualités, précisément parce que l'ensemble met en œuvre des savoirs et des savoir-faire collectifs —, tout ceci constitue un patrimoine immatériel essentiel. Même si comptablement, il est difficile de le chiffrer et d'en suivre l'évolution, autrement que par le recours — imparfait sur ce terrain — à la cotation en bourse pour celles des entreprises qui sont cotées, c'est-à-dire fort peu, il importe de prendre en compte cette valeur humaine de l'entreprise.
Voici donc une piste d'évolution des mentalités entrepreneuriales, à suivre en ce début d'année.
Rappelons l'aphorisme de Jean Bodin, humaniste du 16ème siècle :
"Il n'est de richesse que d'hommes"*.
Notre 21ème siècle se déciderait-il à le redécouvrir ?
* selon les citations, le mot richesse est au singulier ou au pluriel. Nous avons tranché pour LA richesse que constituent les hommes, au risque de trahir l'auteur...