Dans sa décision du 7 juin dernier, le Conseil d'État a suivi les analyses de la cour de justice de l'Union européenne et par conséquent il a considéré comme contraire aux principes du droit d'auteur la procédure de simple opposition des auteurs, aménagée autour du fameux registre ReLire qui devait être la clé de voûte de la loi sur la numérisation des œuvres indisponibles du 20ème siècle.
Un long feuilleton…
On trouvera un rappel des étapes de ce feuilleton législatif dans notre actualité du 20 juin dernier, renvoyant à nos actualités sur le sujet.
… Sur les bourdes législatives françaises
En effet, pour plaire aux éditeurs français, le législateur n'a pas hésité à piétiner le principe immuable de l'accord de l'auteur pour l'exploitation de son œuvre, principe pourtant forgé par le droit d'auteur à la française. Ce n'était certes pas la seule fois qu'il violait ainsi ce principe, ainsi que nous le montrerons prochainement.
Le rôle du Conseil d'État
Juge suprême des juridictions administratives, la section du contentieux du Conseil d'État ne peut juridiquement agir qu'envers des textes réglementaires. Les questions qu'il s'est posées — et a posées à la CJUE — ne pouvaient concerner que le décret déferré devant lui pour excès de pouvoir, en ce qu'il mettait à mal le principe d'accord de l'auteur. Mais à l'évidence, c'est la loi qui commande ce décret d'application qui est en cause et par conséquent caduque en ce qu'elle viole le même principe.
Le Conseil ne peut donc que considérer comme non valide les dispositions du décret en question qui violent pleinement le droit exclusif de l'auteur sur son œuvre (ou monopole d'exploitation, ou principe d'accord). Il ne peut en aucun cas annuler la loi en question ; il n'en a pas le pouvoir. Seul le Conseil constitutionnel aurait pu épingler la loi si d'aventure quelqu'un l'avait saisi au moment de la promulgation de cette loi.
On a pu lire, ici ou là que cette décision "invalidait le registre ReLire" : ce n'est pas le cas, bien au contraire : le Conseil maintient expressément l'existence du registre (articles R.131-1 à 4 du CPI) ; c'est la procédure qui considère qu'en l'absence de l'auteur, l'accord d'une société d'auteur peut suffire pour exploiter son œuvre qui contrevient au monopole d'exploitation de l'auteur. C'est pourquoi il n'annule que les articles R.134-5 à 10.
Cependant, dans l'analyse juridique qui conduit à sa décision, le Conseil ne manque pas de remarquer que :
"Le dispositif institué par la loi du 1er mars 2012 visant à confier à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées à cet effet, le droit d’autoriser la reproduction ou la représentation des livres indisponibles six mois après leur inscription dans la base de données publique doit être regardé comme contraire aux dispositions ci-dessus mentionnées de la directive du 22 mai 2001 (…)
Il suit de là que les dispositions du décret attaqué créant les articles R. 134-5 à R. 134-10 du code de la propriété intellectuelle qui ont pour objet de préciser les conditions de mise en œuvre de ces dispositions législatives sont dépourvues de base légale".
Pour qui sait lire entre les lignes, il est clairement précisé que la base légale (en l'occurrence la loi du 1er mars 2012 instituant le système, est nulle en ce qu'elle viole le principe d'accord de l'auteur.
Une QPC suffirait pour annuler la loi
Il suffirait dès lors à tout justiciable dans un procès contre un éditeur, de poser la question prioritaire de constitutionnalité et l'on pourrait espérer voir le Conseil constitutionnel anéantir les dispositions de la loi qui ne sont pas conformes.
Et si le gouvernement revoyait la copie ?
Il n'est bien sûr pas exclu que le gouvernement ne décide de modifier le dispositif législatif de 2012 qu'on sait aujourd'hui illégal… Ce serait de bonne gestion juridique.
En guise de conclusion
Ainsi que nous l'avons annoncé dans notre actualité du 20 juin dernier précitée, il existe bien d'autres dispositions du code de la propriété intellectuelle qui violent ainsi le principe d'accord de l'auteur. Nous y reviendrons donc.
En savoir plus
Lire la décision du Conseil d'État du 7 juin 2017 sur Légifrance :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000034978289
Voir les articles R.134-5 à 10 du Code de la propriété intellectuelle, disponibles sur Légifrance avant leur annulation par le Conseil d'État (au 6 juin 2017) :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000027121222&cidTexte=LEGITEXT000006069414&dateTexte=20170606