Un principe généralisé
Dans tous les systèmes juridiques de droit d'auteur (autant que dans les systèmes de copyright, qu'il s'agisse de celui d'origine britannique ou de celui des États-Unis), le principe de l'accord de l'auteur, propriétaire de son œuvre, rappelons-le, est immuable, ainsi le que la Cour de justice de l'Union européenne l'a rappelé en novembre 2016, au moins quant au droit de l'Union.
Ce principe de l'accord de l'auteur pour exploiter son œuvre vient tout droit du "droit d'auteur à la française", forgé au cours des 19ème et 20ème Siècles et qui a fait école dans de nombreux pays, notamment en Europe continentale.
Le législateur français, premier prédateur du principe d'accord de l'auteur
Malgré son origine, le législateur français n'hésite pas à bafouer ce principe. Paradoxe : c'est la Cour de justice de l'Union européenne qui a dû rappeler la France à ses obligations puisque le principe d'accord de l'auteur est devenu une des règles fondamentaless de la directive relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (dite DADVSI en raccourci du 22 mai 2001).
L'arrêt de la CJUE à propos de la loi sur les œuvres du 20ème siècle et le registre ReLire
Nous avons déjà évoqué les étapes de l'affaire qui a mené la France à se retrouver épinglée par la CJUE :
- Nous avions d'abord pris fortement position contre le projet de loi sur la numérisation des œuvres indisponibles du 20ème Siècle, organisant la réédition des œuvres de ce siècle au format numérique sans chercher l'accord de leurs auteurs, sous la seule réserve d'avoir publié les noms desdits auteurs dans un registre public. L'auteur, comme tout citoyen, est lecteur assidu du Journal officiel et est donc très averti de ses droits ! C'est une des hypocrisies que nous avions dénoncée (notre actualité du 9 novembre 2011 et celles des 28 février 2012 et 1er mars).
- Nous avons ensuite signalé la sortie du décret d'application de cette loi : décret du 27 février 2013, mettant en œuvre le fameux registre ReLire (notre actualité du 29 mars 2013.
- Puis nous avons rendu compte du recours pour excès de pouvoir intenté contre ce décret par deux auteurs contestant la dépossession de leur droit de propriété, se voyant notamment privés du droit d'autoriser ou de refuser la réédition de leurs œuvres, faute d'en être personnellement informés. C'est alors que le Conseil d'État, saisi de ce recours, a posé la question de la conformité de la loi et du décret à la directive européenne à la CJUE le 6 mai 2015. L'avocat général devant la CJUE rendait ses conclusions le 7 juillet 2016 (notre actualité du 29 juillet rendant compte de ces étapes).
- Enfin, l'arrêt de la Cour est tombé le 16 novembre 2016 (notre actualité du 22 novembre).
- Pour finir, le Conseil d'État a rendu, le 7 juin dernier, sa décision d'annulation du décret du 27 février 2013, et par conséquent, des articles R134-5 à R.134-10 du Code de la propriété intellectuelle. La loi est donc pour le moment inapplicable (notre actualité du 27 juin).
Un cas désavoué par l'Union européenne, mais combien d'autres dans notre droit ?
Dans cette dernière actualité nous interrogions l'avenir : "Prélude à d'autres révisions déchirantes ?" expliquant qu'il existait bien d'autres dispositions de notre actuel droit d'auteur qui bafouaient ainsi le principe de propriété et donc d'accord de l'auteur.
En effet, si la CJUE considère — avec juste raison selon nous — que le principe de l'accord de l'auteur pour exploiter les œuvres qui lui appartiennent est immuable et ne saurait connaître d'autres exceptions que celles prévues pour les nécessités de la vie courante, celles reconnues par la directive (et partiellement reprises dans le droit français : exceptions au droit d'auteur de l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle), il faut pousser les choses au terme du raisonnement et constater les cas, trop nombreux dans notre droit, où le principe en question est ignoré.
Ce sera l'objet d'une série de textes, reprenant une par une les irrégularités du droit d'auteur français, spécialement contre le principe d'accord de l'auteur.
Ces préliminaires étant rappelés, nous consacrerons notre prochain épisode au tout premier cas historique de violation du principe de propriété et d'accord, celui du droit d'auteur des salariés sur leurs logiciels.