Concomitamment à l’essor des tablettes tactiles, se sont développés de nombreux outils de lecture et d’organisation de ses propres actualités à partir des sources de presse en ligne.
Nous avons regroupé ces outils sous le terme d’agrégateurs de flux RSS, à ne pas confondre avec :
- Les agrégateurs de presse : grands serveurs payants offrant l’accès au texte intégral de nombreux organes de presse sur un même plateforme ;
- Les agrégateurs d’actualités en ligne tels que Google Actualités.
Ces outils (tels que Feedly ou Flipboard) permettent donc d’afficher sous forme de « magazines » personnalisés les divers flux RSS disponibles sur les sites de presse.
Quid du droit d’auteur ?
Jusque là, rien de choquant à afficher les flux fournis par les éditeurs de sites, pas plus choquant que d’attraper un flux RSS, quel qu’il soit, et de l’afficher sur son propre site à l’aide d’un petit module dédié (appelé parser en anglais et parseur en français). Puisque c’est l’éditeur du site qui diffuse ce flux, il est permis de penser qu’il autorise son utilisation, quand bien même le contenu de ce flux intégrerait la totalité de l’article qui ainsi s’afficherait sur le site relai.
Mais les choses se compliquent juridiquement lorsque certaines applications de magazines offrent la possibilité de lecture différée des articles affichés sur sa tablette : un bouton permet de mettre l’article de côté pour une lecture ultérieure, y compris hors connexion : c’est donc bien que l’article se trouve copié sur la tablette.
Représentation ou reproduction ?
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler les deux principaux droits de l’auteur en les reliant directement au Web.
Lorsqu’un auteur publie un article sur un site, il entend bien évidemment en autoriser la lecture par les internautes, ce qui juridiquement correspond à céder son droit de représentation sur l’œuvre : celle-ci s’affiche sur un écran pour lecture.
Mais contrairement à ce que croient de nombreux internautes, ce n’est pas parce que l’article est en ligne qu’on peut le reproduire, c’est-à-dire le télécharger ou le copier. Il s’agit là du droit de reproduction et celui-ci n’est pas cédé par l’auteur, sauf s'il a expressément autorisé la reproduction de son œuvre, ou s’il publie celle-ci sous une licence creative commons. Ceci est bien sûr valable sous tous les régimes de droits d’auteur, y compris le copyright anglo-américain.
Un lent effritement du droit d’auteur
À partir du moment où une application magazine sur tablette permet la lecture différée, hors connexion, cela signifie que l’article va se trouver reproduit et stocké sur la tablette.
Dans ce cas, de deux choses l’une :
- Soit le site de presse autorise ce type de copie et tout est bien sous l’angle du droit d’auteur ;
- Soit l’éditeur n’a pas autorisé la reproduction des articles (cas le plus fréquent) et on est en face d’un hiatus, issu de la brutale rencontre d'une innovation technique qui permet de faire bien plus que ce que le droit d’auteur autorise.
La question va donc se poser de savoir, tôt ou tard, si les éditeurs de presse ferment les yeux et admettent sans le dire ce nouveau modèle économique qui s’implante sur les tablettes tactiles — planche de salut, rappelons-le, de l’édition de presse déjà bien mal en point sur le terrain du papier — ou si, arcboutés sur les privilèges que leurs donnent le sacro-saint droit d’auteur — qui est un droit d’éditeur qui n’ose pas dire son nom, notamment depuis que les éditeurs de presse français ont dépossédé leurs journalistes professionnels de la totalité de leurs droits d’exploitation, c’est-à-dire de la totalité de leur droit de propriété sur leurs œuvres —, les éditeurs vont monter au créneau pour faire cesser ce qui est en fait une violation évidente du droit d’auteur — ou du copyright — classique.
Un effritement déjà entamé
Comme les habitués des sites de presse en ligne auront déjà pu le remarquer, on nage déjà dans les contradictions entre les ukases édictées par les éditeurs de presse dans leurs conditions d'utilisation en ligne et les permissions accordées aux lecteurs. Ainsi, certains éditeurs interdisent formellement de ne pas conserver un article copié ou téléchargé plus de 48 heures, cependant qu’ils offrent la possibilité à tout lecteur d’envoyer cet article à un ami, lequel ami se révèle pouvoir être multiple, l’interface permettant d’envoyer l’article à plusieurs destinataires. Certes, dans certains cas, le système n’envoie qu’un lien aux amis et donc il n’y a pas reproduction de l’article, mais dans bien des cas, c’est l’article lui-même qui est reproduit dans le message envoyé aux amis ; autrement j'interdis d'une main ce que je laisse faire de l'autre...
Un effritement qui va continuer ?...
Si l’on se place dans cette perspective, on comprend que de manière assez irrévocable, la rigidité du droit d’auteur n’est plus adaptée aux évolutions technologiques. Cette constatation n’est pas nouvelle et nous avons même toujours affirmé que le droit d’auteur n’avait JAMAIS été adapté aux applications auxquelles on le soumet aujourd’hui.
… Avant un réel changement de modèle économique et juridique
Il n’est ni question de prôner un laisser-faire méprisant et foulant au pied la création intellectuelle, ni question de vouloir augmenter un régime de flicage stérile et inefficace type Hadopi. Il s’agit de trouver un nouveau modèle économique qui tienne à la fois compte du nécessaire respect de l’apport personnel des auteurs et de cet autre nécessaire respect qu’est celui du droit à l’information et à sa libre circulation.
Le monde de la photo, même s’il est encore partagé entre les tenants de l’ancien monde du droit d'auteur classique et les partisans d'un nouveau modèle économique, a déjà en grande partie basculé dans un de ces nouveaux modèles économiques, celui du royalty free, si mal traduit en français par libre de droit, qui est en fait libre de redevance proportionnelle. Nous pouvons voir là un avant-poste lucide et pragmatique des mutations à venir.
En savoir plus
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Nos articles :
Notre actualité du 11 décembre 2009 sur Le droit d’auteur des journalistes confisqué
Sur les tablettes et les applications magazines consulter notre publication :
Tablettes tactiles : outils de suivi et de veille sur l’actualité