S'il est une notion essentielle pour bien comprendre le fonctionnement de la propriété intellectuelle – et en particulier le droit d'auteur – c'est bien le concept que nous avons dénommé périmètre d'exploitation.
Une règle commune à tous les domaines de la propriété intellectuelle
En matière de propriété intellectuelle – et donc en droit d'auteur –, la propriété sur une création ne se cède pratiquement JAMAIS en bloc ou dans sa totalité. En principe, le propriétaire ne cède qu'une tranche d'exploitation à un tiers. C'est le cas pour un éditeur qui ne détient donc que des droits d'exploitation limités à la cession convenue entre auteur et éditeur.
C'est aussi le cas pour une marque dont le titulaire peut autoriser l'usage à un concessionnaire défini, celui-ci ne pouvant exploiter la marque que dans les limites qui lui ont été concédées, par exemple exploitation de la marque Sony exclusivement pour la France, qui a fait l'objet d'un contentieux au début du web à propos du nom de domaine Sony.
Le périmètre d'exploitation – pierre angulaire du droit d'auteur
En droit d'auteur, l'auteur ne cède en principe qu'un périmètre d'exploitation sur son œuvre, autrement dit, il cède une tranche d'exploitation au cessionnaire. Ce principe qui prévaut dans la plupart des systèmes juridiques dans le monde est particulièrement présent en droit français.
La jurisprudence du Figaro
Cette notion de périmètre a constitué le fond de l'affaire dans le contentieux qui a opposé Le Figaro à ses journalistes.
Les faits : la base de presse du Figaro sur Minitel
En 1998, le grand quotidien décida de réutiliser les articles de ses journalistes publiés depuis deux ans en mettant en place une édition télématique proposant la consultation, sur minitel, des archives du Figaro, avec possibilité d'en obtenir copie. Les journalistes auteurs assignèrent Le Figaro en justice, au motif qu'ils n'avaient pas donné leur accord pour une telle réutilisation de leurs œuvres. La direction du journal invoqua le fait que les journalistes étant salariés, ils avaient été payés pour leurs articles.
L'arrêt de cour d'appel
La cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 10 mai 2000, donna raison aux auteurs journalistes (voir l'arrêt sur Légalis.net). Elle constata que le salaire versé aux journalistes ne rémunérait que la seule tranche d'exploitation prévue implicitement au contrat de travail, consistant à publier leurs écrits dans l'exemplaire papier du journal. En conséquence, la reproduction de chaque article dans une base de presse constituait une nouvelle exploitation supposant un nouvel accord des auteurs.
Portée de la décision du Figaro
Cette décision met en lumière divers aspects du droit d'auteur :
- Un salarié reste auteur et propriétaire de son œuvre (voir nos fiches Droit d'auteur des salariés et Droit d'auteur des agents publics).
- Le salaire qu'il touche est censé rémunérer la seule tranche d'exploitation prévue au contrat de travail – même implicitement –, en l'occurrence la publication des articles dans le seul exemplaire papier du jour.
- Tout dépassement du périmètre d'exploitation initial nécessite un nouvel accord de la part des auteurs propriétaires, définissant un nouveau périmètre.
NB : Dans la même période, on a connu plusieurs autres affaires de droit d'auteur des journalistes à propos de la création des sites de presse sur internet, notamment avec Les dernières nouvelles d'Alsace et Le Progrès.
Ces décisions de justice amenèrent la plupart des organes de presse – à commencer par Le Figaro – à passer des accords avec leurs auteurs, aux termes desquels, moyennant une prime annuelle, les journalistes autorisaient les exploitations complémentaires de leurs œuvres : bases d'archives et sites internet, principalement.
Le périmètre d'exploitation dans le Code de la propriété intellectuelle
Cette notion de périmètre d'exploitation est présente dans notre droit depuis la loi du 11 mars 1957, réformant le droit d'auteur en France. Cette loi a été intégrée mot pour mot au Code de la propriété intellectuelle institué en 1992. Voir l'obligation de mentionner le périmètre d'exploitation dans l'acte de cession de droits d'auteur : article L.131-3 al. 1er (voir aussi notre fiche sur Les actes de cession de droits d'auteur).
Une règle à garder présente en tête en information-documentation
Les conséquences de ce concept sont vastes dans les pratiques d'information-documentation, notamment toutes les fois où l'on va choisir d'exploiter l'œuvre d'un auteur qui avait donné son accord par le passé. On rencontre ce principe très fréquemment. Il importe donc de l'avoir bien présent à l'esprit si l'on veut éviter de passer outre et de se mettre en faute vis-à-vis des auteurs.
L'exemple des photothèques
L'application de ce principe la plus emblématique est celle de la photothèque d'une entreprise, recueillant soigneusement toutes les photos faites pour le compte de cette dernière... sans jamais se soucier de savoir quel périmètre d'exploitation a été cédé à celle-ci par les photographes auteurs : le plus souvent on n'a pas conservé les contrats de cession – à supposer qu'ils aient existé... Par conséquent, on est incapable de définir quels usages il est possible de faire de ces images, ce qui bloque complètement leur réutilisation. Il se peut que le photographe ait cédé des droits uniquement pour la publication d'un prospectus papier à l'époque des faits. Republier les mêmes photos sur le site web de l'entreprise sans un nouvel accord revient à dépasser le périmètre cédé à l'origine et à donc commettre une contrefaçon. Voir notre actualité Pour une photothèque juridiquement bien gérée.
La nécessité de se référer aux contrats signés par les auteurs
Ce type d'écueil milite pour la signature et la conservation des actes de cession de droit d'auteur, d'autant plus que depuis 2016, tout acte de cession de droits d'auteur doit être constaté par écrit (article L.131-2 al.2 du CPI). Voir notre article sur Les actes de cession de droit d'auteur.