Encore un pas dans le bon sens sur les aspects juridiques de l'internet, très proches des questions d'e-réputation (cyber-réputation, web-réputation, réputation numérique, au choix).
Le tribunal de grande instance de Paris vient de rendre, le 5 mars dernier, une ordonnance de référé aux termes de laquelle il se reconnaît juridiquement compétent pour juger d'un litige opposant le géant américain des réseaux sociaux, Facebook à un internaute français titulaire d'un compte sur ce réseau.
Les faits
En février 2011, un instituteur partage une reproduction du tableau de Gustave Courbet intitulé "L'origine du monde", datant de 1866, qui représente de manière très naturaliste, un sexe de femme. Repéré par les algorithmes de surveillance de Facebook la publication de cette image a entraîné la suspension pure et simple du compte de l'internaute, au motif qu'il contrevenait aux Conditions générales de services. Facebook n'ayant pas même daigné répondre à une demande d'explication de l'intéressé, celui-ci a décidé d'agir en justice.
Le fameux "Choc des civilisations" de Samuel Huntington
Avant d'aborder l'aspect juridique, notons que nous retrouvons là, de manière emblématique, le fossé qui sépare culturellement la "vieille Europe" des États-Unis, même si l'un et l'autre appartiennent à l'aire occidentale.
On sait combien les américains sont sensibles à la pornographie alors même qu'ils mettent en permanence en avant la liberté d'expression, consacrée par le 1er amendement de leur constitution. De sorte qu'il est plus facile outre-Atlantique de pratiquer publiquement le négationnisme que de montrer des corps dévêtus. Comme on le sait, c'est largement le contraire en Europe et spécialement en France où des lois préviennent les tentations révisionnistes en les érigeant en délit de presse.
Il est ainsi courant aux USA que les hébergeurs ferment un site sur lequel on leur a signalé des contenus pornographiques. Facebook, arguant de ses CGU, a donc suivi une pratique courante outre-Atlantique.
Pas encore de décision au fond de l'affaire
La décision du TGI de Paris n'est qu'une ordonnance de référé qui avait précisément pour but de trancher la question de la compétence des juges français pour juger du litige. Elle ne préjuge donc pas de ce qui sera décidé (l'affaire sera examinée au fond le 21 mai) quant à la publication aux yeux de tous d'une image pouvant choquer certaines personnes, jeunes mineurs par exemple, protégés par certaines dispositions spécifiques du code pénal, mais qui est au fond devenue un classique, après avoir fait scandale à l'époque.
La logique consécration du droit international privé, une fois de plus
Ce qui est remarquable dans cette décision, c'est qu'elle confirme à nouveau la règle classique de droit international privé selon laquelle la loi applicable peut être celle de la personne concernée — en l'occurrence l'internaute français — et du pays de réception des données, et pas forcément la loi du géant américain.
D'où les propos de l'avocat à l'AFP, à l'issue de l'audience du 5 mars :
"C’est une première manche gagnée par David contre Goliath. Compte tenu de l'aura du TGI de Paris, cette décision va faire jurisprudence pour les autres réseaux sociaux et autres géants du Net qui utilisent l'implantation à l'étranger de leur siège social, principalement aux États-Unis, pour tenter d'échapper à la loi française."
Un précédent jurisprudentiel de poids…
Ce n'est certes qu'une simple ordonnance de référé, du TGI de Paris certes, le plus important de France, comme le souligne l'avocat, mais elle va dans le sens d'un arrêt de la cour d'appel de Pau du 23 mars 2012, rendu dans un litige ayant déjà opposé un internaute, dont le compte avait été suspendu, à Facebook.
… Dans la droite ligne des décisions judiciaires européennes contre Google
Cette nouvelle décision rejoint donc la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 13 mai 2014 sur l'application du droit de l'Union aux moteurs de recherche, notamment Google (le fameux "droit à l'oubli", voir notre actualité du 16 mai), ainsi que la récente condamnation directe de Google à déréférencer certaines données, par le même TGI de Paris (ordonnance de référé du 19 décembre 2014, voir notre actualité du 20 janvier dernier).
Il est une autre similitude : celle du silence de ces grands organismes multinationaux qui ne daignent même pas répondre, ou répondent par des arguments évasifs empruntés au droit américain, ou encore complètement à côté de la plaque pour se débarrasser de l'importun…
Peu à peu l'idée progresse selon laquelle les droits de chaque pays sont applicables sur internet en dépit de l'hégémonie des multinationales américaines. Il est permis de penser qu'on en est qu'à des débuts prometteurs d'une évolution du droit sur le net.
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