Toute proche de la reprise des résumés, la reprise des chapeaux des articles (notés chapôs dans le jargon éditorial : texte qui chapeaute l’article, figurant au-dessus de la tête de l’article) se pose assez souvent. Et elle est un peu plus complexe que celles des résumés cueillis dans une revue ou des 4èmes de couverture des ouvrages.
Analyse pratique
Avant toute analyse juridique, il convient de savoir ce qu’est réellement le chapeau d’un article. Sous ce terme se glissent plusieurs réalités qui ne déboucheront pas sur la même analyse juridique.
Plusieurs cas de figure sont à distinguer, dans le but pratique de distinguer différentes analyses juridiques possibles.
Le chapeau peut ainsi :
- Constituer l’accroche éditoriale de l’article, rédigée dans ce cas par la rédaction de la revue et non par l’auteur de l’article ;
- Être le tout premier paragraphe de l’article, qui, constituant une bonne entrée en matière, est placé en forme de chapeau, mais fait partie intégrante de l’article ;
- Être une accroche rédigée par l’auteur de l’article, indépendamment de l’article et qui se suffit à elle-même, pour assurer une meilleure lecture à l'article.
On le voit, le terme de chapeau est un peu l’auberge espagnole : c’est une zone dans laquelle peuvent se trouver des textes de type et d’auteurs différents.
Analyse juridique
Tout d’abord rappelons que "reprendre" signifie tout simplement reproduire une œuvre, si tant est qu’un chapeau en soit une, le critère d’originalité pouvant faire défaut dans des certaines cas.
Distinguons donc les trois cas de figure envisagés.
Chapeau rédigé par la rédaction de la revue
Deux sous-cas se présentent :
- Le chapeau est si court qu’il est dépourvu d’originalité : il ne constitue donc pas une œuvre. et peut être librement reproduit, associé au signalement bibliographique de l’article qu’il présente.
- Le chapeau constitue un œuvre courte et dérivée, un peu comme un résumé, à ceci près qu’elle peut être dépourvue de la neutralité documentaire et mettre l’accent sur les quelques points de l’article qui sont censés accrocher le regard du lecteur : il s’agit alors d’une œuvre dérivée protége par le droit d'auteur, à l’instar du résumé puisque sans l’article lui-même le chapeau ne pourrait exister.
Chapeau rédigé par l’auteur de l’article
Deux nouveaux sous-cas :
- Le texte mis en exergue par la rédaction sous forme de chapô est en fait le premier paragraphe du texte : il s’agit là d’une partie intégrante du texte de l’article.
- Le texte est rédigé en dehors de l’article (souvent même après rédaction de celui-ci) dans le but de constituer une accroche ou présentation de l’article (on retrouve une situation similaire à celle du résumé de l’article fourni par l’auteur lui-même) : il s’agit d’un texte autonome, œuvre d’auteur en tant que telle, si du moins sa brièveté ne l’exclut pas de la protection du droit d’auteur pour absence d’originalité.
Des solutions pratiques ?
Nous sommes donc théoriquement en face de solutions pratiques distinctes.
Défaut d’originalité : liberté d’exploitation
Dans les deux cas où l’originalité de l’œuvre fait défaut : texte très court ne constituant pas un apport personnel de l’auteur que ce soit un rédacteur externe ou l’auteur de l’article lui-même, la reproduction de ce texte est libre puisque aucun droit d’auteur ne nait sur celui-ci.
Mais il faut vraiment que le texte soit non seulement court, mais dépourvu de toute « personnalité » (exemples : « Analyse des critères de protection du chapô d’un article de périodique » ; « La Présidente de la CNIL s’exprime sur les échanges de données à caractère personnel au sein de l’Union européenne » ; « Législation : Une nouvelle loi, applicable début 2015, prévoit que les mineurs résidant en Californie pourront effacer leurs traces numériques »*).
Texte partie intégrante de l’article lui-même : courte citation
Dans ce cas, il est possible de considérer que le chapeau constitue une courte citation de l’ensemble de l’article, pouvant parfaitement s’intégrer dans le signalement de l’article, conformément à la solution dégagée par la jurisprudence Le Monde c/ Microfor.
Texte autonome et orignal : protection de l’œuvre
C’est là le cas le plus délicat.
Il ne suffit pas que le texte soit court pour manquer d’originalité (exemples : « "Loi gomme" : un droit au regret numérique pour les adolescents californiens »** : ici, il y a création d’une expression originale « droit au regret numérique » entrainant potentiellement propriété intellectuelle sur le texte.
Par aillerus,dès l’instant que le texte est un peu long, il risque fort de réunir des critères d’originalité suffisants pour qu’il soit protégé par le droit d’auteur.
Sur le plan purement juridique, si le texte est original, il est protégé par le droit d’auteur.
Mais son rôle dans l’économie générale de la publication de l’article est similaire à celui de la 4ème de couverture d’un ouvrage : certes, il y a œuvre d’auteur, mais l’aspect de promotion (ici d"accroche") milite en faveur d’une certaine souplesse.
Nous reprendrons donc l’évocation de risque de contentieux qui s’avèrerait contre-performant pour les éditeurs de presse ou les auteurs desdits chapeaux, compte tenu du faible intérêt économique en jeu en regard du coût d’un procès.
En savoir plus
Voir notre actualité du 30 juillet 2013 Droit et fonction documentaire – 5 : Les 4èmes de couverture.
Voir notre article sur Les bulletins bibliographiques, reprenant la solution Le Monde c/ Microfor pour les courtes citations d'articles.
* Nous reprenons là une partie du chapeau de l’article de Thierry Noisette dans ZDNet, cité dans notre actualité sur cette loi californienne du 8 octobre dernier :
www.zdnet.fr/actualites/loi-gomme-un-droit-au-regret-numerique-pour-les-adolescents-californiens-39794316.htm
** Il s’agit là en fait du titre du même article, mais cela aurait pu être son chapeau.