Un récent arrêt de la cour d'appel de Versailles est venu illustrer les rigueurs des conditions de validité de la cession de droits d'exploitation et de la délimitation du périmètre d'exploitation cédé.
Les faits en synthèse
Par delà les méandres complexes de l'affaire, voici en quelques mots les grandes lignes du litige.
Un graphiste employé en contrat à durée indéterminé dans un agence de communication quitte son employeur après avoir réalisé des créations pour le compte de ce dernier.
Un accord est passé en cette fin de contrat de travail pour décider du sort des créations que l'employé laisse à son ex-employeur. Il est ainsi prévu que certaines des créations seront exploitées gratuitement par l'agence mais uniquement pour les besoins de sa propre publicité. En cas d'exploitation commerciale, pour le compte d'un client de l'agence par exemple, l'employeur devra en informer l'auteur et envisager avec lui une rémunération.
Or, sans rien dire, l'agence de communication a utilisé les créations en question pour le compte d'un client. L'auteur a donc assigné l'agence en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Par jugement du 27 avril 2017 le tribunal l'a débouté de toutes ses prétentions.
La décision d'appel
La cour va infirmer en partie le jugement du TGI.
Ainsi la cour :
"Déclare nul le protocole d'accord signé le 27 mai 2013 entre la société Y d'une part et M. B. d'autre part pour non respect des dispositions de l'article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle.
"Déclare par suite contrefaisante l'utilisation faite par la société Y des quatre illustrations faisant l'objet du protocole ci-dessus annulé."
L'agence de communication est condamnée à verser 20 000 € du demandeur "à titre d'indemnisation forfaitaire" du préjudice, et à 5000 € en réparation du préjudice moral. Elle doit encore verser 7000 € au titre des frais de justice du demandeur.
Les conditions de validité de l'acte de cession de droits d'exploitation
Cet arrêt nous permet de revenir sur les mentions qui doivent impérativement figurer dans un acte de cession pour que celui-ci soit valide. A défaut de quoi l'acte est nul et l'exploitant de l'œuvre se retrouve en situation de contrefaçon.
C'est la cour qui rappelle ces exigences en citant in extenso l'alinéa 1er de l'article visé :
"Selon l'article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle, la transmission des droits d'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits créés fassent l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à sa durée"
En d'autres termes, l'auteur doit impérativement délimiter le périmètre d'exploitation de l'œuvre pour laquelle il cède ainsi une partie de ses droits et rien de plus. Si ce périmètre n'est pas suffisamment défini, la cession est censée de jamais avoir eu lieu.
L'agence de communication avait tenté de limiter les exigences de l'article L.131-3 aux seuls cas de contrats visés à l'article précédent, le L.131-2 al.1er (représentation, édition, production audiovisuelle, autorisations gratuites d'exécution).
Là encore la cour oppose un démenti à cette analyse erronée, confirmant ainsi la portée générale de l'article L.131-3 et rappelant encore que depuis 2016, tous les actes de cession de droits d'auteurs doivent être constatés par écrit, aux termes du nouvel al.2 de l'article L.131-2 :
"C'est vainement que la société intimée entend voir limiter les exigences susdites aux contrats énumérés par l'article L.131-2 du même code alors que l'article précité ne distingue pas et que l'exigence d'un écrit concernant la cession des droits d'auteur a été généralisée à tous les contrats"
Pour finir, la cour tire les conclusions imparables de l'analyse qu'il convient de faire de cette notion de périmètre d'exploitation cédé par un auteur :
"Le contrat de cession est d'interprétation stricte et l'auteur d'une œuvre peut exiger que celle-ci ne soit pas utilisée à d'autres fins que celle qu'il a autorisées"
En conclusion
Comme on peut le constater, la notion de périmètre d'exploitation d'une œuvre d'auteur, qui doit être soigneusement et précisément délimitée dans un acte de cession écrit ne se trouve pas dans la loi que pour faire joli, contrairement à ce que pourraient penser ceux qui croient pouvoir s'affranchir de ces rigueurs, et les juge n'hésitent pas à l'appliquer sans état d'âme, tant il est vrai qu'il s'agit d'un article qui garantit la propriété d'un auteur sur son œuvre.
L'arrêt a été publié en pdf dans la partie Lexis Actu du site Lexis-Nexis (193 ko, 13 pages) :
http://web.lexisnexis.fr/LexisActu/CAVersailles22fevr20191704881.pdf
En savoir plus
Voir notre article de synthèse sur Les actes de cession de droit d'auteur, mis à jour en 2017.