On connaît l'affaire très américaine du singe photographe qui a défrayé la chronique depuis quelques années, mais l'antique canular du trop méconnu peintre Joachim-Raphaël Boronali revient sous les feux de l'actualité culturelle.
Un singe peut-il être l'auteur d'une photo qu'il a prise ?
Telle fut la question à résoudre aux États-Unis depuis qu'en 2011, un macaque d'Indonésie s'est saisi de l'appareil photo d'un professionnel est a réalisé deux selfies, lesquels ont été depuis diffusés sur Internet. Le photographe, propriétaire de l'appareil, revendiquait son droit d'auteur sur ces clichés. Il fut débouté en 2014 et les photos considérées comme appartenant au domaine public. L'affaire est relancée en septembre 2015 puisque la très active société américaine de défense des droits des animaux, PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), revendique la qualité d'auteur au désormais célèbre singe Naruto. Le tribunal fédéral de San Francisco a finalement rejeté la requête en janvier 2016. L'association prétendait que rien dans la loi fédérale sur le copyright n'excluait les animaux. Le juge fédéral constate que rien ne prouve que si certains droits ont été étendus aux animaux (droit aux aliments, par exemple), le législateur fédéral ait entendu y inclure le copyright.
Pour mieux comprendre un contentieux qui peut paraître farfelu de ce côté de l'Atlantique, il faut rappeler que les États-Unis n'ont reconnu le rôle de la personnalité de l'auteur, au travers de son droit moral, qu'en 1988, et encore, du bout des lèvres, et ce, pour se rallier à la Convention internationale de Berne sur le droit d'auteur. En d'autres termes, c'est le côté essentiellement patrimonial du droit d'auteur (ou copyright) qui prime dans ce pays, la propriété de l'œuvre, d'où la lutte entre le photographe propriétaire de l'appareil photo, se revendiquant auteur, et les défenseurs des animaux revendiquant la propriété des clichés au nom de l'animal.
Au regard du droit d'auteur à la française, avec l'incidence plus ancienne du droit moral et de la personnalité de l'auteur, la qualité d'œuvre suppose une création intellectuelle "originale" au sens juridique : qui émane de l'esprit humain. Pas plus qu'un automate (un photomaton par exemple) un animal ne peut se voir reconnaître un droit sur la base d'un apport intellectuel à la création de l'œuvre. Autrement dit, ni le photographe, ni l'animal ne peuvent être considérés comme auteurs, et c'est pourquoi les premières juges de 2014 avaient sagement considéré que les images ainsi réalisées appartenaient au domaine public.
Rappelons qu'en France, la seule réforme introduite dans le code civil depuis la loi du 16 février 2015, c'est la reconnaissance que les animaux sont "des êtres doués de sensibilité". Mais pour le surplus, l'article du code civil réglant cette question (article 515-14) précise : "Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens" (voir notre actualité du 17 novembre 2015 pour le droit à l'image des animaux dans ce contexte). Pour le moment, il semble impossible de reconnaître un droit d'auteur à un animal, un auteur restant toujours une personne humaine.
L'âne peintre
Le célèbre canular d'artistes de Montmartre en 1910 revient dans l'actualité.
Pour moquer le snobisme d'un certain public et de la critique, quelques artistes potaches, avec à leur tête l'écrivain Roland Dorgelès, ont imaginé d'attacher un pinceau à la queue d'un âne, approchant le tout d'une toile. Stimulant l'artiste en herbe — si l'on ose dire — par des carottes et des feuilles de tabacs qui l'incitaient à agiter la queue frénétiquement, ils parvinrent à un barbouillis assez réussi, le tout sous l'œil d'un huissier de justice chargé de constater la supercherie et accompagné d'un certain nombre de photographies de l'événement passées elles aussi à la postérité. C'est sous le nom du peintre méconnu Joachim-Raphaël Boronali que le tableau fut proposé au Salon des indépendants de 1910 sous le titre "Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique" vite rebaptisé par la presse "Coucher de soleil sur l'Adriatique". Nombre de critiques vont saluer la qualité artistique de l'œuvre, jusqu'au moment où les auteurs du canular révéleront la supercherie, pour la confusion de ceux qui s'étaient esbaudis sur l'œuvre…
Dans ce cas bien sûr, aucune qualité d'auteur ne fut revendiquée par qui que ce soit, encore que l'on aurait pu soutenir que les instigateurs de la plaisanterie, de par le choix des couleurs dans lesquelles ils avaient trempé successivement le pinceau et de par la stimulation de l'animal avec force carottes ou feuilles de tabac, ont concouru à la réalisation artistique de l'œuvre… qui du reste n'est pas si laide.
Source : Wikimedia
Cette œuvre va se trouver exposée tout prochainement au Grand Palais, dans le cadre de l'exposition Carambolages, du 2 mars au 4 juillet 2016.
Pour rester dans le registre animal, Lolo, l'âne peintre, appartenait à Frédéric Gérard, propriétaire du cabaret montmartrois Au Lapin agile… Qui sait ce que ce lapin aurait pu créer de génial ? Et comme disait feu Raymond Devos : "Mon chien, c'est quelqu'un !"
En savoir plus
Voir la fiche Wikipédia sur le tableau en question et de savoureux détails du canular :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Et_le_soleil_s'endormit_sur_l'Adriatique
L'exposition Caramblolages, présentée sur le site de la Réunion de musées nationaux (RMN) :
http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/carambolages