Une confusion de non-juristes
Nombreux sont les non-juristes à affirmer qu’une loi ne peut être appliquée sans ses décrets d’application. Ce qui est bien sûr largement faux.
Cette confusion peut provenir de deux sources d’erreurs que nous avons fini par identifier au cours de nos formations à l’information, la documentation et la veille juridiques.
Confusion 1 : Application mal comprise de la hiérarchie des normes
Il peut s’agir d’une croyance en une application mécanique et systématique de la hiérarchie des normes. Cette hiérarchie présente les normes juridiques (ou règles de droit) sous une forme hiérarchisée qui part du sommet — la constitution —, passe par la loi, et présente sous les lois, le règlement, pris dans son sens français de l’ensemble des actes réglementaires que sont les décrets, arrêtés et autres types d’actes à portée réglementaire (à ne pas confondre avec le règlement au sens de l’Union européenne).
Dans ce contexte, les décrets sont souvent présentés comme chargés d’appliquer les lois. Ce qui est parfaitement exact, en vertu de la pure hiérarchie des règles de droit (nous ferons abstraction du cas des décrets dits autonomes qui sont une particularité du système juridique français sous l’empire de notre actuelle Vème République, pour ne pas compliquer les choses davantage).
Mais là se glisse une erreur de logique : si tout décret est pris en application d’une loi (de nouveau, réserve faite des décrets autonomes), cela n’implique pas qu’une loi ait besoin d’un ou plusieurs décrets pour être applicable.
Lorsque par exemple une loi allonge la durée de protection du droit d’exploitation des auteurs de 50 à 70 ans, aucun décret n’est utile pour que chaque sujet de droit puisse appliquer directement cette préscription légale.
Des décrets d'application possibles mais pas nécessaires
En revanche lorsqu’une loi fixe des principes de fonctionnement, elle laisse implicitement ou expressément au pouvoir exécutif le soin de prendre les dispositions nécessaires pour rendre ces principes concrètement applicables.
Implicitement ou expressément : le plus souvent la loi annonce, article par article, les décrets qui viendront fixer les modalités d’application de telle ou telle disposition. Mais il peut arriver que la loi ne prévoie rien et qu’il faille que le pouvoir exécutif intervienne.
On s’aperçoit de la coexistence de ces deux cas en consultant sur le site du Sénat la rubrique État d’application de la loi dans le dossier législatif d’une loi déjà promulguée : le service du contrôle d’application de la loi du Sénat tient à jour l’état de publication des décrets d’application de manière minutieuse et signale lorsqu’un décret paru en application de la loi en question n’était pas prévu par la loi.
Confusion 2 : application ou promulgation ?
La deuxième source de confusion provient des règles d’entrée en vigueur de la loi, et plus particulièrement dans ce dispositif de la phase du décret de promulgation. Qu’est-ce donc ?
Dans le contexte de la séparation des pouvoirs, la loi émane évidemment du pouvoir législatif, lequel appartient, dans notre actuelle constitution, au Parlement (Assemblée nationale + Sénat). Mais toujours en vertu de la séparation des pouvoirs, seul l’exécutif peut rendre la loi exécutoire (on peut dire « applicable » si on n’est pas à cheval sur le mot juste…)
Tant que la loi n'est que définitivement adoptée par le Parlement, il ne s’agit que d’une petite loi pour reprendre le terme technique consacré : un texte législatif sans valeur contraignante. Pour devenir grande, c’est-a-dire prendre force de loi et donc s’imposer à tout sujet de droit, le pouvoir exécutif doit le décider. C’est l’objet du fameux décret de promulgation, opération automatique et purement technique aboutissant à la publication de la loi au Journal officiel de la République française.
C’est ce décret — totalement invisible d’ailleurs — qui peut être appelé par abus de langage décret d’application alors que son intitulé exact, du fait de sa finalté, est décret de promulgation. C'est donc ce qui justifie qu’on puisse croire que toute loi doive avoir son décret pour être applicable.
De sorte qu’il ne faut pas confondre :
- Application : précisions nécessaires à certaines dispositions législatives pour les rendre concrètement applicables ;
- Promulgation : opération qui consiste à revêtir une loi de sa formule exécutoire pour qu’elle puisse être exécutée comme loi de l’État.
C'est ce dernier point que le définit le modèle du décret de promulgation tel qu’il résulte toujours de l’article 1er du décret 59-635 du 19 mai 1959 relatif aux formes de promulgation des lois par le Président de la République, et dont voici le texte que tout citoyen peut lire au Journal officiel lorsqu’une loi y est promulguée :
« L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
(ici s’insère la loi)
La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.
Fait à [Lieu], le [date].
Par le Président de la République : »
Suivent les contreseings ministériels.
La phrase « La présente loi sera exécutée comme loi de l'État. » constitue la formule exécutoire, c’est elle qui rend la loi opposable à tous.
À retenir
Une loi n’a pas forcément besoin de décrets d’application pour être applicable, mais pour acquérir sa force contraignante et s’imposer à tous, elle doit être promulguée par le Président de la République qui la rend exécutoire.
En savoir plus
Voir le décret 59-635 sur Légifrance dans sa version en vigueur :
www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000493002&fastPos=1&fastReqId=131904916
Voir le Guide de légistique publié sur Légifrance sur ce point de la procédure législative :
www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique/II.-Etapes-de-l-elaboration-des-textes/2.2...
Voir notre article sur la Spécificité du droit et de l'information juridique qui déjà citait ce décret
Voir notre article sur la Hiérarchie des normes dans le système juridique français
Voir notre module d’auto-formation La veille juridique : Concepts, techniques et outils