Par Nathalie Morand-Khalifa
Lorsque Claudine m’a demandé d’intervenir à l’occasion de cet événement, je me suis demandée ce que je pourrais avoir d’intéressant à vous raconter !
J’ai fait la connaissance de Claudine Masse — l'actuelle directrice de l'EBD — à l’INTD lors de ma formation d’ingénieur documentaire et cela fait quelques années ! Depuis au gré de nos évolutions professionnelles respectives nos chemins se croisent et souvent nous sommes amenées à échanger sur les métiers de l’information.
Ainsi, lors de mon dernier changement de poste, nous avons beaucoup échangé sur ce que mes nouvelles fonctions allaient couvrir et les changements par rapport à mes postes précédents.
Des mutations professionnelles évidentes
Et là une évidence s’est imposée à nous : que de changement depuis mon premier poste dans un centre de documentation d’un établissement financier.
Changement à plusieurs niveaux :
- Le périmètre à couvrir
- Le positionnement du département dans l’organigramme
- Les métiers couverts
Depuis ce premier poste j’ai exercé dans plusieurs entreprises, un point commun l’information mais les missions étaient chaque fois un peu plus différentes. Enfin en apparence car dans les faits il s’agissait de gérer de l’information, d’en produire, d’en diffuser mais plus pour les mêmes raisons et pour des acteurs différents et de plus en plus importants.
Ce constat nous a amené à nous poser la question de connaître les raisons de ces évolutions, qu’est-ce qui pouvait expliquer cela et pourquoi ?
Qu’est-ce qui avait changé dans nos pratiques de professionnels de l’information, nos utilisateurs avaient-ils eux aussi changé et les besoins avaient-ils évolués et pourquoi ?
Pour preuve que ces questions étaient bien réelles, c’est que très souvent à la question « quel est ton métier, tu sers à quoi dans l’entreprise ? » Les réponses avaient elles aussi changées.
Ces différentes questions m’ont amené à m’arrêter sur ma vie professionnelle et sur ce que j’avais fait depuis 1987. Il ne manquait plus qu’un psy et je pouvais entrer en thérapie !
Quand j’ai commencé à travailler, trois métiers couvraient la fonction information : documentalistes, archivistes et bibliothécaires. On ne parlait pas vraiment de veilleurs, de gestionnaires de contenus et encore moins de knowledge managers ou encore de records managers ! pour n’en citer que quelques-uns.
Un métier dynamique, mais pas encore bien reconnu
La multitude de métiers liés à l’information est la preuve d’un changement profond de nos pratiques et de notre capacité à avoir su nous adapter aux besoins des entreprises. Contrairement à ce que certains veulent bien dire nous ne sommes pas des professionnels tournés vers le passé et qui passons notre temps à nous lamenter sur la non-reconnaissance de nos compétences et capacité à nous adapter au changement. C’est parfois vrai mais généralement faux : la preuve tous les métiers existants qui correspondent à des spécialisations indispensables aux entreprises.
Est-ce à dire que nous sommes reconnus à notre juste valeur ? Loin s’en faut, mais que d’avancée tout de même. Même si parfois cela est difficile et que nous devons toujours prouver que nous saurons faire !
Pour répondre à la question de la nécessité de la fonction information dans les entreprises, je vais faire un peu d’histoire et d’analyse.
L’évolution de nos métiers est liée, à mon avis, à la conjonction de plusieurs facteurs :
- La complexité des besoins en matière d’information
- L’arrivée des nouvelles technologies
- La multitude des sources d’information
- La production exponentielle d’information
- Le foisonnement des exigences règlementaires
- Et le travail important de nos associations professionnelles pour faire connaître nos métiers et les formations proposées et souvent assurées par des professionnels en poste donc très proches des besoins
- La capacité d’anticipation des professionnels de l’information sur les futurs besoins
Force est de constater aujourd’hui que la fonction information dans l’entreprise a toute sa place, à des niveaux différents mais aucun dirigeant aujourd’hui ne peut nier cette réalité. Il a des besoins !
Je me souviens de l’arrivée d’internet dans les entreprises et de la première réaction des dirigeants de la banque pour laquelle je travaillais : on n’a plus besoin du centre de documentation puisque chacun pourra chercher sur internet !
J’ai bien essayé avec mes collègues d’argumenter et d’expliquer pourquoi cette théorie ne tiendrait pas longtemps. Mais j’ai vu partir mes collègues et la fermeture du centre de documentation.
6 mois plus tard, mon patron me convoquait et me demandait de remonter un nouveau service ! Quelle victoire mais en même temps quel regret !
La fonction information : une fonction de rigueur
Si je repars de mon expérience et de celles de quelques-uns de mes collègues, la préoccupation commune aujourd’hui à tous les dirigeants du monde entier est d’être confrontés à l’absence d’une information :
- Fiable
- Précise
- Pertinente
- Et disponible au moment opportun
- Le volume de données et documents produits et reçus par les entreprises
- Le besoin de connaissances sur l’environnement économique, concurrentielles, clients
- Toujours plus croissant prouve la nécessité que tous ces besoins d’avoir être couverts et maîtrisés.
L’arrivée et l’utilisation de l’électronique n’ont fait qu’augmenter ces besoins. On veut toujours plus d’information (gage d’une connaissance en temps réel et avant les autres), Internet et les réseaux d’entreprise favorisant la circulation de plus en plus rapide de l’information, mais cela ne fait qu’augmenter le stockage d’information.
En parallèle les exigences règlementaires ont augmenté les contraintes en matière de gestion de l’information.
L’information électronique et la suprématie des informaticiens
Avec l’arrivée de l’électronique, les informaticiens (dont on a besoin par ailleurs) avaient pris le pouvoir ! Ils conservaient et géraient l’information puisqu’ils stockaient sur des serveurs et proposaient toujours des solutions techniques. Je ne vous parlerai pas des messageries électroniques qui aujourd’hui sont pour moi un cauchemar!
Trop souvent j’ai maudit ces termes « système d’information » combien de fois cela a conduit à des confusions, à des disputes sur les périmètres, sur la responsabilité des uns et des autres !
De la gouvernance d’entreprise à une nécessaire gouvernance de l’information
Avec l’arrivée du principe de gouvernance d’entreprise, est apparu le principe de gouvernance de l’information.
- Comment être conforme aux exigences règlementaires de traçabilité des activités de l’entreprise ?
- Comment être certain de tout connaître sur son environnement, ses concurrents, sur l’évolution des lois ou des technologies ?
- Comment être certain de pouvoir retrouver les informations, qui sont par ailleurs souvent le patrimoine informationnel de l’entreprise, et quelles sont fiables ?
- Comment gérer les informations pour favoriser le travail au quotidien des collaborateurs, les classer, les utiliser, les diffuser, les partager ?
L’information c’est le pouvoir
Aujourd’hui face à la nécessité de maîtriser son information, des réponses existent.
Je me souviens avoir commencé mon mémoire de fin d’études par cette phrase : « L’information c’est le pouvoir ».
Pendant longtemps seules quelques personnes dans l’entreprise avaient cette connaissance donc le pouvoir. Mais ce principe a vite été battu en brèche, contrée par l’arrivée des bases de données, d’internet, de l’électronique, des nouvelles technos. Le partage de l’information va de plus en plus vite.
Une nouvelle approche est née et cela est perceptible dans les stratégies et la planification de mise en œuvre de la gouvernance de l’information.
Cette approche est née de :
- La complexité et du coût liés à la gestion, la production et la réception de volumes de données et de contenus toujours plus importants
- Associés au besoin de fournir des informations fiables à chaque utilisateur et pour chaque affaire, transaction ou projet
Ces problématiques ont incité les dirigeants d’entreprise à repenser leur approche de la fonction information dans l’entreprise.
Bien évidemment, même s’ils ont conscience de cette nécessité, ils ne mettent pas toujours les moyens humains et financiers, mais de plus en plus ces fonctions existent.
La prise en compte de cette nécessité de la fonction information se mesure aussi par le fait que la problématique de l’information n’est plus confiée à la direction informatique mais à des professionnels de l’information. L’important n’est plus seulement de maîtriser la volumétrie mais avant tout de maîtriser et rationaliser la production documentaire par la mise en place de bonnes pratiques, de méthodologies et d’outils adaptés aux besoins !
Aujourd’hui bons nombre d’entreprises ont des docs, archivistes, KM, RM, responsables de la connaissance ou de contenus, pour n’en citer que quelques uns !
La stratégie informationnelle dans l’entreprise
Cette nécessité se reconnaît aussi dans l’existence de plans stratégiques et tactiques qui rassemblent différents acteurs afin de mettre en œuvre de véritables politiques documentaires.
Pour conclure, je pense que la nécessité d’une fonction information dans les entreprises n’est plus remise en cause et est comprise par tous les décideurs. J’en veux pour preuve, également, la prise en compte par de nombreux départements financiers qui aujourd’hui ne considèrent plus la fonction information comme centre de coût mais au contraire n’hésitent pas à inscrire l’information à l’actif du bilan de l’entreprise, ce qui est une vraie reconnaissance positive !
Tout n’est pas gagné car, trop souvent encore, on répond par la technique avant de cerner les besoins et les méthodes.
Mais je pense que tous les professionnels de l’information ont les atouts et compétences nécessaires pour démontrer leurs capacités à aider les entreprises.
Je vous remercie de votre attention.
Révision avril 2011
Compléments
Nathalie Morand-Khalifa est coauteur de l'ouvrage "Mise en œuvre de la dématérialisation : Cas pratiques pour l'archivage électronique", chez Dunod.
Voir la présentation de l'ouvrage sur le site de Dunod
Voir notre actualité du 9 décembre 2010 sur les 75 ans de l'EBD