La durée légale théorique
En droit français, la règle a été, comme dans tous les pays signataires de la Convention de Berne, de 50 ans après la mort de l’auteur. Cette règle a changé aux termes de la directive harmonisant la durée du droit d’auteur à 70 ans dans tous les pays de l’Union européenne (directive du 29 octobre 1993, entrée en vigueur le 1er juillet 1995). La réponse pourrait donc paraître simple. Il n’en n’est rien car d’autres paramètres entrent en compte dans notre pays.
La règle des 50 ans… et les années de guerre
En effet, sous l’empire de l’ancienne durée, la loi française reconnaissait des prorogations possibles, notamment dans trois cas de figure (lois dites moratoires — articles L.123-8, L.123-9 et L.123-10 du code de la propriété intellectuelle — CPI) :
- 1ère guerre mondiale ;
- 2ème guerre mondiale ;
- Auteurs « morts pour la France ».
Deux points de départ pour les calculs
La complexité réside dans le fait que le système doit prendre en compte deux paramètres de date distincts :
- Celle de la divulgation de l’œuvre (représentation, exposition ou publication selon les genres d’œuvres) ;
- Celle du décès de l’auteur.
Munis de ces deux indicateurs, voyons le fonctionnement pour chacune des guerres.
Les années 1914-1919
Pour toutes les œuvres divulguées avant le 2 août 1914, il y a lieu de proroger la durée des droits (50 ans en principe) jusqu’à « la fin de l'année suivant le jour de la signature du traité de paix » (traité de Versailles, 28 juin 1919), soit pratiquement la fin de l’année 1919 (5 années et 152 jours), pour les œuvres « non tombées dans le domaine public le 3 février 1919 ».
Ainsi, pour une œuvre qui aura été divulguée avant le 2 août 1914 et pas encore dans le domaine public au 3 février 1919, quelle que soit la date du décès de l’auteur, il conviendra de proroger la protection de la durée écoulée entre le 2 août 14 et la fin de l’année 1919.
Si l’auteur est décédé pendant la Grande guerre, les calculs s’arrêtent là : il suffira donc de patienter jusqu’au 1er janvier de la 56ème année suivant celle de sa mort (on compte par années civiles) pour que ses œuvres publiées avant le 2 août 14 se trouvent dans le domaine public.
Si l’auteur est décédé après le 2 août 14, il y aura lieu de distinguer entre les œuvres publiées avant le 2 août 14 (solution précédente) et celles rendues publiques après cette date, pour lesquelles on se bornera à appliquer la règle de base des 50 ans.
Les années 1939-1945
La même règle s’applique pour la 2ème guerre mondiale, à ceci près que les délais sont plus longs. Pour les œuvres divulguées avant le 3 septembre 1939, on applique un délai « d'un temps égal à celui qui s'est écoulé entre le 3 septembre 1939 et le 1er janvier 1948 », pour les œuvres « non tombées dans le domaine public au 13 août 1941 ». En pratique, cela proroge la protection de 8 ans et 122 jours.
Pour un auteur décédé pendant la 2ème Guerre mondiale, il y a lieu de distinguer entre ses œuvres divulguées avant le 3 septembre 39, pour lesquelles il faut proroger la protection du délai précité, et ses œuvres divulguées avant le 2 août 14 pour lesquelles la protection est prorogée des deux périodes de guerre, soit en principe de 13 ans et 274 jours, c’est-à-dire 14 années civiles.
Si l’auteur est décédé après le 3 septembre 39, il faudra distinguer entre les œuvres divulguées avant l’une ou l’autre guerre, et celles divulguées après le 3 septembre 39 pour lesquelles aucune prorogation ne peut-être admise.
Des durées variables en fonction de la divulgation des œuvres
De sorte que, curieusement, pour un auteur décédé en 1949, ses œuvres publiées avant le 2 août 14 bénéficient d’une protection supplémentaire de 14 ans, celles publiées avant le 3 septembre 39, de 9 ans, alors que ses dernières œuvres restent soumises à la seule règle des 50 ans.
Les morts pour la France
Les morts pour la France sont les personnes qui sont décédées en donnant leur vie « pour la France » durant les deux grandes guerres. Cette mention « mort pour la France » est transcrite à leur état civil (articles L. 488 à L. 492 bis du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre). Dans la mesure où elles sont auteurs, leurs œuvres jouissent d’une prorogation de 30 ans qui s’ajoute aux années de guerre.
La directive européenne et la règle des 70 ans
Là-dessus, la directive déjà citée survient et pose le principe d’une harmonisation à 70 ans post mortem, la protection des droits d’exploitation dans tous les pays de l’Union. Des bruits, fondés sur les considérants de la directive ont couru au moment de sa transposition française, selon lesquels cette nouvelle durée annulerait la règle des années de guerre, voire celle des morts pour la France. Il a quand même fallu un retentissant double arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2007 pour trancher la question avec toute l’autorité de cette haute cour (arrêts Claude Monet et Giovanni Boldini).
Table rase pour l’avenir
Le raisonnement de la Cour part du principe que la directive a entendu harmoniser la durée de protection, c’est-à-dire la limiter à un maximum de 70 ans dans tous les pays de l’Union. Dès lors, la Cour considère que toute disposition nationale qui tendrait à faire déborder la protection de plus de 70 ans serait contraire à cette directive, quelle qu’aient été les dispositions de la loi transposant celle-ci (loi du 27 mars 1997).
Le Boléro de Ravel enfin dans le domaine public
Cette affaire est venue à point nommé éclairer la situation particulière de la protection de l’œuvre de Maurice Ravel et de son célébrissime Boléro. Le compositeur étant mort fin 1937, et la protection des œuvres musicales ayant été déjà portée à 70 ans par la loi du 3 juillet 1985, la question se posait de savoir si le Bolero tomberait dans le domaine public fin 2007, ou s’il fallait appliquer le moratoire de la 2ème guerre mondiale. À la lumière de cette décision, les œuvres de Ravel sont tombées dans le domaine public le 1er janvier 2008.
Persistance du casse-tête pour la période intermédiaire
Selon les dispositions transitoires de la loi de 1997 et l’application logique des délais, il est toute une série de cas où il faut savoir si l’œuvre était déjà dans le domaine public sous la règle des 50 ans éventuellement augmentés des années de guerre, au 1er juillet 1995 (date d’application de la directive, quel que soit le retard de la loi française) auquel cas, en principe, elles ne peuvent rentrer dans le domaine privé.
Il convient donc de se pencher à nouveau sur les dates de publication des œuvres et sur celles du décès de leurs auteurs, de voir si compte tenu des savants calculs énoncés ci-dessus, l’œuvre est ou non tombée dans le domaine public au 1er juillet 1995.
Si oui, l’œuvre reste dans le domaine public.
Si non, l’œuvre est toujours dans le domaine privé et il y a lieu d’appliquer la nouvelle règle des seuls 70 ans post mortem, abandonnant pour l’après 1er juillet 1995 le calcul des années de guerre. Ce qui simplifie les choses.
Portée du double arrêt de la Cour de cassation
Dans son attendu de principe, l’arrêt Monet précité, à l’issue d’un long raisonnement juridique, précise en synthèse que « la période de 70 ans retenue pour harmoniser la durée de protection des droits d’auteur au sein de la Communauté européenne couvre les prolongations pour fait de guerre accordées par certains États membres ». La généralité de la formule « faits de guerre » commande pour nous l’analyse selon laquelle même le dispositif des morts pour la France est devenu caduc, contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé.
Cas particuliers
Les œuvres de collaboration
Lorsqu’une œuvre est réalisée par plusieurs auteurs travaillant ensemble à la même œuvre, cette dernière est qualifiée par la loi d’œuvre de collaboration : romans ou articles cosignés ; chansons (compositeur et parolier) ; opéra (compositeur et librettiste) ; banse dessinée…
Dans ce cas, le point de départ des délais est celui de la mort du dernier des coauteurs (article L.123-2 CPI).
Les œuvres anonymes, sous pseudonyme ou collectives
Dans ces trois cas, le délai de protection court à partir de l’année civile qui suit celle de la publication de l’œuvre (article L.123-3 CPI).
Références
Code de la propriété intellectuelle : Partie législative — Première partie : La propriété littéraire et artistique Livre 1er : Le droit d'auteur — Titre II : Droits des auteurs — Chapitre III : Durée de la protection, sur Légifrance (articles L.123-1 à 12)
Arrêts de la 1er chanbre civile de la Cour de cassation en date du 27 février 2007
Arrêt Claude Monet sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?i&idTexte=JURITEXT000017637866
Arrêt Giovanni Boldini sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?&idTexte=JURITEXT000017637879
Morts pour la France
Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre :
Partie législative — Livre IV : État civil et sépultures — Chapitre 1er : Mention "Mort pour la France", sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;?idSectionTA=LEGISCTA000006142768&cidTexte=LEGITEXT000006074068
La liste des Morts pour la France est tenue, de manière non exhaustive sur ce site « Mémoires des hommes » qui dépend du ministère des anciens combattants, récemment réintégré dans le ministère de la Défense :
www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/spip.php?rubrique41
Des listes indicatives de certains auteurs morts pour la France sont tenues à jour sur Wikipédia :
Écrivains : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C3%A9crivains_morts_pour_la_France
Compositeurs : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_compositeurs_morts_pour_la_France
Liste plus générale des morts pour la France :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Mort_pour_la_France_%28qualification_officielle%29