Après avoir examiné les diverses notions de revues de presse, tant professionnelles que juridiques, nous en tirerons les conclusions en expliquant comment faire pour sortir de l'illégalité aujourd'hui.
Notion de revue de presse
Toute l'ambiguïté du langage a alimenté pendant plus de trente ans un malentendu sur le statut juridique des revues de presse. Nous passons en revue, dans les lignes qui suivent la pratique documentaire et ses différents produits nommés parfois revues de presse et nous envisageons ensuite les définitions possibles de la revue de presse au sens de l'exception de l'art. L.122-5 3° b du code de la propriété intellectuelle.
Un produit documentaire multiforme
On a souvent nommé en documentation revues de presse beaucoup de produits documentaires ayant un rapport avec la presse, leur faisant ainsi bénéficier du prestige attaché à ce terme. Nous distinguerons les fausses revues de presse des vraies...
Les fausses revues de presse
Sous ce terme nous grouperons des produits documentaires qui connaissent en principe une autre désignation en documentation. Il ne nous choque pas qu'on les baptise revue de presse, mais encore faut-il ensuite savoir de quoi on parle pour en affiner la qualification juridique.
Les bulletins bibliographiques
Beaucoup de professionnels se contentent dans leur revue de presse de mentionner les références des articles décrits, accompagnés le cas échéant de quelques mots-clés et/ou d'un résumé, indicatif ou informatif. Il s'agit là d'un bulletin bibliographique qui du reste pose moins de problèmes juridiques puisque la grande affaire Microfor / Le Monde a dit le droit en cette matière, que nous résumons ici rapidement.
Le fait de reproduire des références d'articles n'emprunte en rien à l'œuvre protégée de l'auteur et par conséquent est parfaitement libre.
L'indexation à l'aide de mots-clés ou de termes appartenant à un langage documentaire consiste en fait à repérer les idées du texte, lesquelles sont libres de droit, ce qui est donc parfaitement libre.
Les résumés doivent être rédigés de manière à ne pas dispenser le lecteur de recourir à la lecture de l'œuvre première. A priori, ce serait donc le résumé indicatif qui serait licite, l'informatif - qui donne les positions de l'auteur ne le serait pas (1).
Cette dernière solution est critiquable à notre sens parce que, réserve faite de l'éventuelle reprise du plan de l'article d'origine, un résumé est une création nouvelle, une reprise des idées (libres) de l'article et une reformulation de celles-ci avec des mots et des phrases différents.
Enfin, au lieu de résumés, on peut choisir d'intégrer un court extrait de l'article. Cette pratique est libre puisqu'elle entre en principe dans l'exception des courtes citations, la solution Microfor l'a du reste rappelé.
Les revues de sommaires
Certains professionnels nomment revue de presse ce qui est en fait une revue de sommaires : ils reproduisent l'ensemble des sommaires de revues de la période.
Si l'on s'en tient au sommaire stricto sensu, sans les commentaires et les photos incrustées, l'opération revient à reproduire les références des articles comme dans le cas précédent. Les solutions sont donc les mêmes et tout aussi libres.
Une seule difficulté va s'ajouter. Toute mise en forme étant protégée par le droit d'auteur, la mise en page du sommaire appartient à un auteur (maquettiste). Or, reproduire mécaniquement le sommaire par photocopieur ou scanneur revient à emprunter cette mise en forme protégée.
Les vraies revues de presse
Nous entendons par vraies revues de presse celles qui ne peuvent bénéficier d'aucune autre exception au droit d'auteur. Donc pas de courte citation, pas de liberté documentaire telle que définie par l'affaire Microfor. Il faut alors supposer qu'on a affaire à une reproduction totale ou partielle de l'article, ce qui nous ramène au monopole d'exploitation de l'auteur. Et il faut donc logiquement l'accord de l'auteur. Nous y revenons plus loin.
C'est là que reparaît l'exception de revue de presse mentionnée de manière très sibylline dans la loi puisque aucune définition n'en est donnée.
La revue de presse au regard de la loi
Les documentalistes, espérant échapper à une législation fort mal conçue, ont toujours eu tendance à solliciter les textes. La réalité historique joue hélas en leur défaveur, c'est la conclusion à laquelle nous sommes arrivés au terme d'un long périple de remise en cause et de retour aux textes.
Les critères de licéité
La loi ne définit pas, nous l'avons dit, la revue de presse. Il faut aller chercher soit dans les travaux préparatoires de la loi pour deviner l'intention du législateur, soit dans la jurisprudence pour obtenir des indices ou des solutions.
Tout professionnel un peu informé de la question connaît les critères jurisprudentiels : pour être licite, la revue de presse doit être une présentation conjointe, sur un même événement ou sur un même thème d'articles émanant d'auteurs et d'organes de presse différents. Nous avions même théorisé la question avec les critères "monoévènementiel" ou "monothématique" et comparatif. C'était oublier le contexte de l'affaire.
Déjà ces critères nous gênaient souvent puisque la plupart des revues de presse sont des sélections d'articles, sans redondance (un utilisateur n'a pas de temps à perdre pour lire cinq articles sur un même sujet) rendant compte de l'actualité.
Là-dessus, le CFC (2) arrive dans le débat et décrète unilatéralement que nos produits ne sont pas des revues de presse entrant dans l'exception de la loi mais des panoramas de presse (3). Sans faire de détail, le CFC considère que toute revue de presse d'entreprise est illégale, sauf à passer un accord avec eux. La confusion est grande et le débat prend corps. C'est l'époque où l'ADBS se lance sous l'impulsion du Président Michel dans la lutte pour la reconnaissance du droit à la libre circulation de l'information.
La réalité historique
Nous avons connu et été acteur de cette tourmente. À force de gratter les textes, de rechercher leur sens et avec le recul du temps, notre vision de la législation a évolué. Il serait faux de dire que la loi a été modifiée ; c'est toujours la même, c'est la lecture qui s'est affinée, et pas seulement de notre côté. Le CFC lui aussi a évolué. Mais sur le plan juridique et économique, nous restons résolument opposé à ses positions.
Des travaux de recherche parallèles ont abouti aux constatations suivantes.
En 1957, lors de la création de l'exception de revue de presse, les documentalistes, métier tout neuf, ne pratiquaient encore pas les produits nommés revues de presse. La loi ne pouvait donc viser un produit qui n'existait pas. Force est donc de constater que la notion de revue de presse mise en lumière par la loi ne peut correspondre à nos pratiques (4).
Les travaux préparatoires de la loi de 1957 évoquent la possibilité pour des organes de presse de se citer réciproquement dans leur colonnes. Ainsi sont visées les revues de presse de la presse. Mais comme la loi ne distingue pas, l'ambiguïté juridique demeure.
Nous en venons à la jurisprudence.
Les juristes ont comme beaucoup d'autres scientifiques l'habitude de se faire confiance et de se citer les uns et les autres. Il est bon de revenir de temps à autre aux textes d'origine. L'arrêt de la Cour de cassation de 1978 a certes dégagé les critères de comparativité sur un même événement ou un même thème. Mais les faits visés sont ceux de la reprise intégrale et régulière dans un organe de presse de la revue de presse d'un autre organe de presse. Rien de plus. Cela concerne bien des organes de presse entre eux et à aucun moment la décision ne prétend apporter une règle plus générale. Il est donc impossible de transposer cette solution à des produits documentaires quels qu'ils soient.
Conclusion
La conclusion de tout cela est que les revues de presse pratiquées dans nos métiers sont hors la loi tant que nous n'avons pas passé des accords d'exploitation avec les titulaires de droits régulièrement institués.
À ce sujet, nous voudrions balayer un argument qui nous a souvent gêné et qui nuit à nos métiers : le coût d'une revue de presse va mettre le budget du centre de documentation en péril. C'est le type même du faux argument, à double tranchant de surcroît.
Faux argument : imaginerait-on une entreprise décider de se passer d'informatique au motif que les matériels sont devenus trop chers ? Or c'est exactement ce que nous voudrions faire admettre : se passer de l'information car elle est trop chère. Comme le disait une collègue à ses usagers : essayez donc l'ignorance...
Double tranchant : on ne peut d'un côté tenter de restaurer le prestige de la documentation et de ses métiers en prétendant que l'information a une valeur économique et que nous jouons un réel rôle économique dans l'entreprise et continuer à vouloir piller en toute bonne conscience le travail des autres. Le débat doit plutôt se placer sur le démontage juridique et économique des prétentions des éditeurs en matière de droit de copie.
|cc| Didier Frochot - novembre 2003 - révision mars 2006
Voir aussi :
Fiches synthétiques : Résumés documentaires - Exception de courte citation
Articles : Comment négocier avec le CFC et Publication électronique, le point sur le droit d'auteur
Notes :
1. Cette analyse est éminemment discutable : le lecteur face à un résumé, fût-il informatif, saura si l'article l'intéresse ou l'éloignera de lectures inutiles. Dans le cas où la lecture serait inutile, peut-on reprocher au documentaliste d'avoir dissuadé le lecteur de perdre son temps ? Dans le cas ou l'article est intéressant, un lecteur intelligent ira lire l'article intégralement et ne se contentera pas d'un digest...
2. Centre français du copyright, rebaptisé en 1991 Centre français d'exploitation du droit de copie. Le CFC naît en 1983. il connaîtra son second souffle avec la loi de 1995 et son agrément officiel (pour les copies papier) en 1996. Cf. Fiche sur le CFC et son site : http://www.cfcopies.com/
3. Le créateur du mot fut le défunt Louis Riedinger, premier juriste du CFC.
4. Nous devons à Françoise Quaire, formatrice indépendante, spécialisée notamment dans les revues et panoramas de presse d'avoir mis au jour cette réalité historique.