Ce titre de gloire, il le doit principalement à l’article «
As we may think », fondateur à plus d’un égard, paru en juillet 1945 dans la revue
The Atlantic Monthly.
Dans l’extrait assez connu que nous présentons ici, Vannevar Bush imagine un système baptisé Memex (
Memory Extender) qui prendrait en charge une information riche et variée (textes, images, sons, notes, etc.). Sa description fait irrésistiblement penser à nos ordinateurs individuels, jusqu’au concept de « bureau actif » des systèmes d’exploitation insérant un environnement graphique (MacOS puis Windows). Pas étonnant : ce texte inspirera les concepteurs de cet environnement et le créateur de la souris (Ted Nelson et Douglas Englebart). L’allusion à la consultation possible à distance préfigure la téléinformatique, devenue télématique puis aujourd’hui Internet. Un texte visionnaire donc.
Dans une autre partie du même article, moins connue, l’auteur jette les bases de ce qui prendra, des années plus tard, le nom d’hypertexte. Nous présentons cet autre extrait ci-après :
La prophétie de Bush - Acte 2.
|cc| Fabrice Molinaro – février 2005
***
As we may think
« comment nous pouvons penser »
Vannevar Bush - The Atlantic Monthly - juillet 1945 - Vol. 176, n°1 p.101-108
Extrait de l'article - traduction les-infostratèges - annotations : Didier Frochot
(...)
Considérons un futur dispositif pour l'usage individuel, qui est une sorte de fichier et de bibliothèque privés mécanisés. Il a besoin d'un nom, et, pour en prendre un au hasard, le "Memex" suffira (1). Un Memex est un dispositif dans lequel une personne stocke tous ses livres, documents personnels, et communications, lequel est mécanisé afin qu'il puisse être consulté avec rapidité et flexibilité. Il s'agit d'un supplément intime et agrandi de sa mémoire (2).
Il se compose d'un bureau, et bien qu'il puisse vraisemblablement être actionné à distance, c'est principalement le meuble où il fonctionne. Sur le dessus se trouvent des écrans translucides inclinés, sur lesquels des documents peuvent être projetés pour une lecture aisée. Il y a un clavier, et des ensembles de boutons et de leviers. Autrement, il ressemble à un bureau ordinaire.
À une extrémité, se trouvent les documents stockés. La question du volume est résolue par des microfilms améliorés. Seule une petite partie de l'intérieur du Memex est dédiée au stockage, le reste, au mécanisme. Pourtant, si l'utilisateur insérait 5000 pages de documents par jour, il lui faudrait des centaines d'années pour remplir cet entrepôt, il peut donc le faire sans contrainte et entrer des documents librement.
La majeure partie des contenus du Memex est achetée sur microfilms prêts à l'usage. Livres de toutes sortes, images, périodiques courants, journaux, sont ainsi acquis et insérés en bonne place. La correspondance d'affaires prend le même chemin. Et il est prévu l'entrée directe de documents. Sur le dessus du Memex il y a un plateau transparent. Sur celui-ci sont placés des notes personnelles, des photographies, des mémorandums et toutes sortes de documents. Lorsqu'un de ces documents est en place, une pression sur un levier provoque la photographie stockée dans l'espace libre d'une section du film du Memex, la photographie à sec étant utilisée (3).
Il y a, bien sûr, des possibilités de consultation des documents via le système habituel du classement. Si l'utilisateur souhaite consulter un certain livre, il tape son code sur le clavier, et la page de titre apparaît promptement devant lui, projetée sur l'un de ses dispositifs de visionnage. Les codes fréquemment utilisés sont mnémoniques, de sorte qu'il consulte rarement son livre de codes ; mais lorsqu'il en cherche un, il presse un bouton qui les lui affiche. En outre, il a d'autres leviers à sa disposition. En inclinant un de ces leviers vers la droite il parcourt le livre, page à page à une vitesse qui permet un simple coup d'œil de reconnaissance. S'il pousse le levier plus à droite, il survole le livre par tranches de 10 pages ; et encore plus loin, par tranches de 100 pages. L'inflexion du levier vers la gauche permet la même commande, mais en arrière.
Un bouton spécial le transporte immédiatement à la première page de l'index. N'importe quel livre de sa bibliothèque peut être ainsi appelé et consulté avec une bien plus grande facilité que s'il était sur une étagère. Comme il a plusieurs postes d'affichage, il peut laisser un document affiché tandis qu'il en appelle un autre. Il peut ajouter des notes en marge et des commentaires, tirant profit des possibilités de la photographie à sec, et il se pourrait même qu'il puisse le faire par un procédé de stylet, tel qu'actuellement utilisé sur le télautographe (4) visible dans les salles d'attente des gares, comme s'il avait la page papier sous la main.
(...)
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Liens utiles :
The Atlantic Monthly en ligne : http://www.theatlantic.com/
L'article intégral en anglais est disponible en plusieurs endroits sur le Web, mais le plus souvent sous forme d'extrait. Il est fréquemment renvoyé au travail de Denys Duchier de l'Université d'Ottawa :
http://www.virtualschool.edu/mon/ElectronicFrontier/VannevarBush/as-we-may-think.html
On trouvera la même version intégrale, tributaire du travail de D. Duchier mais en version pdf sur le site de l'Université libre flamande de Bruxelles : http://arti.vub.ac.be/cursus/2001-2002/ai2/material/bush.pdf
Notes :
1. Sans être marseillais, Bush exagère un peu... En fait, il travaille sur ce projet depuis le début des années 30 et le nom de son invention n'est pas dû au hasard puisqu'il est l'acronyme de MEMory EXtender (Extension de mémoire).
2. Formulation étonnante, c'est l'exacte impression que les premiers usagers de la messagerie stockée sur son ordinateur personnel, ont eue : l'ordinateur personnel devenait l'extension de sa mémoire, mais aussi de sa personne...
3. Une grande partie du début de l'article est consacrée à une revue des techniques actuelles, dont les procédés photographiques.
4. Inventé en 1904 par l'allemand Arthur Korn, ce système, concurrent du bélinographe du français Édouard Belin mis au point en 1907, permettait de transmettre de l'écriture manuscrite ainsi que des photographies, par voie téléphonique. Deux ancêtres de la télécopie donc !