En ces périodes où la France entière s'émeut, autour du pouvoir d'achat, en découvrant que ce sont les intermédiaires entre le producteur et le consommateur qui grèvent le modèle économique de la distribution, en ces périodes où les plus généreux des hommes d'affaires inventent le
commerce équitable, celui où l'intermédiaire garantit au producteur de café nécessiteux des Andes un revenu décent, il serait opportun de réfléchir, par analogie, au statut de l'auteur dans notre société.
Rappelons à ce sujet l'enquête édifiante d'Anne Crignon publiée dans le
Nouvel Observateur du 20 février 2003 sous le titre "
La jungle du livre", où la journaliste établit l'existence d'un sous-prolétariat des auteurs, même ceux à succès.
Rappelons aussi que nous attendons toujours qu'on nous explique valablement pourquoi un auteur, sans lequel le livre et donc l'éditeur n'existeraient pas, n'est rémunéré que 10% (au maximum) du prix de vente de son œuvre, pourcentage sans commune mesure avec la plus value apportée par l'auteur au livre ainsi vendu… L'analogie est donc flagrante entre les producteurs d'artichauts bretons et les auteurs.
Partout au sein des institutions internationales, on entend dire qu'il faut "
renforcer les droits des auteurs". Mais cette pétition de principe, proclamée la main sur le cœur au nom des auteurs, cache de plus en plus mal les intérêts économiques des intermédiaires que sont les producteurs de l'industrie audiovisuelle et les éditeurs, notamment de presse, ainsi que ces forteresses que sont les sociétés de gestion collective.
Tout ceci a abouti au ras-le-bol d'un grand nombre d'auteurs, notamment dans le monde de l'information, qui publient aujourd'hui directement sur Internet et de surcroît en
Open Access, au nez et à la barbe des éditeurs. Ce
tsunami du droit d'auteur a sonné, semble-t-il, le glas du modèle économique tout payant, même si les éditeurs, durs d'oreille, ne l'ont toujours pas
entendu.
Rappelons à nouveau (voir déjà
notre brève du 11 mars et
notre article sur le sujet) qu'en ce monde, les connaissances, les idées et les informations sont libres et insusceptibles d'appropriation, ce qui ruine largement l'argument des médias qui prétendent "vendre" de l'information. C'est d'autant plus choquant que les organes de presse papier ou audiovisuelle jouissent d'une exception les autorisant à passer outre le droit d'auteur pour la reproduction, même intégrale, des discours prononcées dans des assemblées publiques (art. L.122-5 3° c). Le droit d'auteur serait donc enfreint légalement dans un sens au nom de la liberté de l'information, mais jamais dans l'autre parce que cela gênerait les intérêts économiques des organes de presse… Étrange modèle économique en vérité !
Il est temps aujourd'hui de dire haut et fort que ce modèle économique est mort et que d'autres, plus ouverts, émergent. Ce n'est pas dans le contexte limité d'une brève que nous pouvons analyser le phénomène, mais ce mouvement est irrémédiablement en marche, comme en témoigne le foisonnement des blogs et autres services dérivés du Web 2.0 tels que les flux RSS, agrégateurs d'actualité (type
Yahoo Actualités,
Google Actualités ou
Wikio) libres et gratuits, ou encore les systèmes d'alerte.
Les professionnels de l'information sont les premiers bénéficiaires de ces fortes mutations. Plutôt que de ruiner leur entreprise en souscrivant de coûteux contrats avec des prestataires, intermédiaires supplémentaires entre l'information et les consommateurs, ils peuvent aujourd'hui bâtir eux-mêmes des produits libres, gratuits et dynamiques pouvant répondre plus complètement aux attentes de leurs usagers. Ce n'est pas de la science fiction, c'est aujourd'hui une réalité que beaucoup de professionnels innovants mettent en place dès à présent pour la plus grande satisfaction de leurs usagers.