Après nous être intéressé à l'œuvre de collaboration et à l'œuvre composite (notre actualité du 17 et celle du 24 février), nous terminons cette semaine le triptyque par la définition et le régime de l'œuvre collective.
La notion d'œuvre collective est assez complexe à comprendre, du moins à la lecture de l'article L.133-2 al.3, assez ambigu, et parce qu'elle introduit en quelque sorte une couche supplémentaire de droit d'auteur :
"Est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé".
Les critères de l'œuvre collective
Il s'agit d'abord d'une œuvre "créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale".
Une personne morale, auteur possible ?
Notons à ce sujet qu'il s'agit du seul et unique cas où une personne morale puisse être auteur ; l'auteur est en principe une personne physique, sauf précisément cette unique exception.
Une œuvre "dirigée"
Ensuite, pour être auteur, il est prévu que cette personne "l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom" : deux critères nouveaux apparaissent.
Il faut que l'œuvre soit éditée, publiée et divulguée sous le nom de la personne.
Et il faut surtout que la personne ait dirigé la réalisation de l'œuvre. En d'autres termes, il doit y avoir un travail de coordination des divers contributeurs. Et contrairement aux prescriptions de l'article L.113-5, la jurisprudence exige la preuve de cette direction.
Des contributions imbriquées
Ensuite toujours, l'œuvre collective est celle "dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue" : conséquence logique de l'existence d'une direction effective, chacun des coauteurs va travailler en vue d'insérer sa contribution dans un ensemble pensé et conçu par l'auteur de l'œuvre collective.
Une condition énigmatique
Pour finir, la loi introduit un critère sibyllin relativement aux auteurs contributeurs : "sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé", entraînant un temps des divergences doctrinales et jurisprudentielles, compte tenu de la très mauvaise rédaction de ce texte.
En réalité, il faut et il suffit que chacun des coauteurs ne puissent prétendre à un droit personnel sur la totalité de l'œuvre collective, ce qui est parfaitement logique s'ils se sont bornés à réaliser leur part de l'œuvre, leur propre contribution.
Mais a contrario, ils restent maîtres de leur contribution (voir-ci-dessous). Par ailleurs, peu importe que le nom des contributeurs apparaissent.
Des cas d'œuvres collectives
Le cas emblématique proche de nos métiers est celui des revues ou des journaux : un rédacteur en chef ou un comité de rédaction, au nom de l'éditeur de presse, réalise la direction et la coordination des diverses contributions insérées dans la revue ou dans le quotidien.
Il faut bien entendu considérer pareillement qu'un site internet ou intranet relève de l'œuvre collective : une équipe de coauteurs travaille sous la houlette d'un coordinateur, pour le compte de l'éditeur du site qui le publie et le divulgue sous son nom.
Quid du droit des auteurs contributeurs ?
Une mémorable jurisprudence est venue apporter un élément de réponse non négligeable sur les droits des contributeurs, au moins pour certains cas d'œuvres collectives.
L'ensemble des articles du quotidien Le Figaro ayant été mis à disposition du public au travers d'une base de données d'archives de presse payante, à l'initiative de la direction, les journalistes ont assigné leur employeur en contrefaçon au motif qu'ils n'avaient pas donné leur accord pour cette nouvelle exploitation de leurs œuvres.
La cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 10 mai 2000, balaie l'argument soulevé par la direction selon lequel les journalistes étant salariés, elle est propriétaire de leurs œuvres : elle constate sur ce point que le salaire versé au journaliste ne rémunère que la reproduction l'article dans le support papier du journal, puisque c'est sa mission. Mais pour cette autre exploitation qu'est le transfert des articles dans une base de presse, l'accord exprès des auteurs était indispensable.
Mais surtout pour notre sujet, la cour d'appel ajoute un argument laconique mais éclairant pour un juriste : "…il importe peu que le journal constitue ou non une œuvre collective".
En termes plus explicites, un quotidien peut être considéré comme une œuvre collective, mais cette œuvre collective ne contrevient pas au fait qu'on reconnaisse un droit plein et entier à chaque coauteur sur sa création individuelle.
Des droits respectifs entre l'auteur de l'œuvre collective et les auteurs contributeurs
Dès lors la qualification d'œuvre collective apparaît singulièrement rétrécie et ne règle en rien les rapports entre un employeur prenant l'initiative d'une œuvre réalisée par ses salariés et ceux-ci.
Il faut donc bien comprendre en quoi consiste l'œuvre collective : c'est le tout, en tant qu'œuvre unique et finie, par exemple, le journal du jour. Mais dès l'instant que les diverses contributions sont "sorties" du contexte de l'œuvre collective, et par exemple reproduites une à une dans une base de presse, chaque auteur retrouve des droits pleins et entiers sur ses œuvres.
La qualité d'œuvre collective ne protège donc, au bénéfice de son initiateur, personne physique ou morale, que le "bloc" constituant la réalisation collective, mais n'efface pas les droits de chaque coauteur sur sa propre création, pour les cas où celle-ci pourrait être extraite de l'œuvre collective, ce qui était le cas pour Le Figaro.
En savoir plus
Outre l'article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle, voir surtout l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 mai 2000 opposant Le Figaro à ses journalistes, sur Legalis.net :
www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-1ere-chambre-a-arret-du-10-mai-2000/