Le tribunal de commerce de Paris a tranché, le 16 décembre dernier, un litige qui opposait une société commerciale dénigrée sur le site de signalement des abus commerciaux signal-arnaques.com.
Faits et procédure en bref
Un site offrant des avantages à des consommateurs a été l'objet de critiques virulentes sur le site signal-arnaques.com. Le site ainsi attaqué a assigné les dirigeants de signal-arnaques en dénigrement devant le tribunal de commerce de Paris.
L'éditeur de ce site a tenté d'éviter la condamnation en invoquant le fait que si le site attaqué usait du fondement juridique du dénigrement, c'est parce que le délit de diffamation était prescrit (rappelons-le, 3 mois à partir de la mise en ligne des contenus litigieux).
Le tribunal préféra retenir l'argument des plaignants selon lequel ce n'est pas la personne de la société qui était attaquée (hypothèse nécessaire pour retenir la diffamation) mais bien les services de celle-ci : il y avait donc à proprement parler dénigrement de produits ou de services, acte régulièrement condamné sur la base de l'article 1240 du Code civil sur la responsabilité civile.
Les arguments saillants en présence
Dans le signalement de "l'arnaque" figurait en effet des propos qui ont été jugés comme constitutifs de dénigrement. Après avoir rappelé la définition juridique du dénigrement, le tribunal retient que l'article entre bien dans cette catégorie de propos :
"... le début de l’article, le rédacteur annonce qu’il va se concentrer sur le cash-back, qu’il explique en quoi consiste cette pratique, et qu’il dénonce en termes sarcastiques ce qu’il considère comme un piège, avec des mots comme : « appât », « piège pervers du commerce en ligne », « roulent dans la farine » «trompé plusieurs milliers d’internautes», « prendre des libertés avec la législation », «tombera pas dans le panneau», « pigeons », « l’ergonomie Web appliquée à la tromperie », «artifices », «intention commerciale dissimulée » ; il analyse ensuite de manière critique les avantages offerts par le service : avantage bienvenue, avantage remboursement, avantage livraison, avantage code promotion ; et qu’il conclut en appelant à ce qu’une enquête officielle soit menée".
S'agissant des commentaires publiés par les internautes (étalés entre le 11 novembre 2016 et le 26 mars 2019) le tribunal retient que certains d'entre eux :
"sont critiques, et expriment la déception des internautes face aux pratiques du Club des Avantages ; que les termes utilisés sont incontestablement dénigrants : « nous pauvres petits pigeons », « cette tentative d’arnaques», «ce genre de piraterie», « ils savent qu’ils agissent très mal », « quelle malhonnêteté ! », « Nous avons été victimes de ces pratiques abusives >>, « la société Club des Avantages Monetize Angels est une bonne grosse arnaque », « pratiques abusives », « me volent tous les mois 15 € », « cette arnaque pure et simple », «un goût amer d’escroquerie », « ras le bol de ces escrocs », « méthodes perverses », « bizarre que l’on puisse sans problème aller au-dessus des lois dans ce pays»,« c’est un scandale qui mérite d’être médiatisé afin que plus personne ne se fasse enc**er par ces gens », « procédés détournés les plus vicieux », « club d’avantages de m****» "
Le tribunal constate au vu des faits rapportés, notamment les diverses mises en demeure de la société attaquée auprès de signal-arnaques, que ces derniers étaient parfaitement informés du caractère litigieux de ces commentaires et qu'ils n'ont pas agi promptement pour les neutraliser, ainsi que la loi leur en fait obligation (article 6-I, 2°) de la LCEN).
La décision des juges
Signal-arnaques est donc condamné à supprimer soit l'ensemble de l'article et des commentaires, soit à supprimer les éléments dénigrants parmi ceux-ci, sous une astreinte de 500 € par jour de retard, à verser 5000 € de dommages-intérêts au plaignant, ainsi que 3500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (frais de procès engagés par le plaignant) et aux dépens de l'instance (frais du tribunal).
Un signal fort face aux critiques et avis abusif contre les commerçants
Les avis de consommateurs, lorsqu'ils sont fondés et modérés dans leur expression (pas d'injure, pas de déformation des faits, pas de faux avis, pas de ton "sarcastique" comme le souligne le jugement), ont constitué un apport non-négligeable dans l'équilibre trop longtemps rompu entre commerçants et consommateurs. Cependant, notre expérience du nettoyage d'avis négatifs abusifs nous montre que le rapport de force tend à s'inverser et la tentation est grande de la part de certains consommateurs de se lâcher avant tout sur internet, avant même de tenter de régler directement un différend avec le commerçant, sans parler des journalistes militants consuméristes dont il semble qu'on ait eu ici un exemple sur ce site signal-arnaques.
Il est remarquable que ce soit un tribunal de commerce qui ait eu à connaître de ce type d'affaire. Rappelons que le tribunal de commerce est une formation juridictionnelle professionnelle, composée de commerçants élus. Cette décision devrait faire réfléchir toutes les plateformes d'avis de consommateurs et autres sites de défense du consommateur, disons, un peu trop zélés...
Lire la décision du tribunal de commerce de Paris sur l'excellent site legalis.net.
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