L'open data au forceps : l'ouverture des logiciels de l'administration fiscale

La transparence administrative, agrémentée d'un travail collaboratif démocratique…

La mission Etalab a récemment annoncé l'ouverture du code source du calculateur d'impôts de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

Dans un communiqué du 9 mars dernier, on peut notamment lire :
"La Direction générale des finances publiques mettra à partir du 1er avril le code source du calculateur impôt à la disposition de tous. Acte de transparence et de gouvernement ouvert, cette ouverture permettra d’expliciter les modalités de calcul des impôts, dans l’esprit de l’article 2 du projet de loi numérique. Elle est aussi un gage d’innovation car de nouveaux usages pourraient en découler, à l’image du micro-simulateur ouvert OpenFisca, que ce code enrichira."

L'administration a même lancé les 1er et 2 avril dernier une opération de communication du type hackaton (séance de développement informatique collaboratif) :
"Pour accompagner l’ouverture et développer des cas d’usage, Etalab et la DGFiP organisent un hackathon autour de ce code source. Pourront en découler à travers différents ateliers des traductions de la « calculette impôt » vers d’autres langages de programmation, permettant le développement d’applications ou d’API Web, et des réutilisations par des chercheurs et des économistes pour réaliser des évaluations et des études."

L'envers du décor

Derrière cet "Acte de transparence et de gouvernement ouvert" se cachent peut-être deux ans de contentieux qui eux n'ont pas connu les projecteurs de l'actualité grand public.

Les faits

Un étudiant en stage de mai à juin 2014 au Secrétariat général de la modernisation de l’action publique (SGMap), au sein de la mission Etalab, participant au développement du logiciel micro-simulateur socio-fiscal Openfisca, outil permettant d'évaluer son impôt, a souhaité avoir accès au code source du logiciel de la DGFiP, estimant qu'il était plus facile et plus conforme en termes de résultats de reprendre le même algorithme que d'en reprogrammer un autre. S'étant vu opposer une fin de non recevoir, il a saisi la Commission d'accès au document administratif (Cada) qui lui a donné raison le 8 janvier 2015 et a invité la DGFiP à communiquer le code source de l'application. Ce que ladite administration s'est obstinée à ne pas faire.

Le jugement du tribunal administratif de Paris

C'est donc un jugement du tribunal administratif de Paris qui a tranché le 10 mars dernier, "enjoignant au ministre des finances et des comptes publics de communiquer à M. A le code source du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement."

Épilogue

Il est permis de penser que, à la lumière de ce jugement et stimulé par Etalab, le ministère s'est empressé de montrer sa transparence et son ouverture sans faille… avec l'aimable concours d'un étudiant un peu procédurier.

Un rappel à la loi ?

Ce bras de fer est pour le moins étonnant. Est-il besoin de rappeler que la réforme du 6 juin 2005 de la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès au document administratif a posé le principe de la libre réutilisation des informations publiques, lesquelles incluent toute donnée ou document produit ou reçu par l'administration. Il est donc évident que les logiciels entrent dans cette catégorie.

Cette affaire confirme notre sentiment selon lequel les administrations ne sont pas encore prêtes pour l'ouverture des informations qu'elles détiennent. S'il peut paraître choquant de voir un ministère faire ainsi de la résistance, alors qu'il est armé juridiquement et techniquement pour connaître ses obligations et y satisfaire, nous pensons notamment aux collectivités locales qui ne sont pas forcément au fait de ces obligations et risquent de voir pleuvoir sur elles des recours administratifs dont le présent contentieux peut prendre valeur d'exemple.

En savoir plus

Voir le communiqué d'Etalab en date du 9 mars 2016 :
www.etalab.gouv.fr/codeimpot-un-hackathon-autour-de-louverture-du-code-source-du-calculateur-impots
Lire la décision de la Cada en date du 8 janvier 2015, sur l'excellent site Légalis.net :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4504
Lire le jugement du TA de Paris du 10 mars 2016 sur le même site :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4942
Et leur présentation succincte de la décision :
www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4943

Notre publication : "Réutilisation des informations publiques (open data) : Aspects juridiques".
 

Didier FROCHOT