E-réputation : entre liberté et responsabilité pour les commentaires des internautes

Un long arrêt de la Cour européenne des Droits de l'homme (organe du Conseil de l'Europe, à ne pas confondre avec à Cour de justice de l'Union européenne, cour suprême de l'Union), est venu rappeler, le 16 juin dernier, les rôles et limites respectifs entre la liberté d'expression et la responsabilité de l'hébergeur et/ou de l'éditeur de site. Une clarification importante pour les questions d'e-réputation par voie de commentaires ou d'avis de consommateurs.

Les faits

Sur le portail d'actualité estonien Delfi, un article concernant une compagnie maritime propriétaire de ferries avait été publié et violemment commenté et critiqué par les internautes, notamment par des propos injurieux ou menaçants. À la demande de la compagnie, les commentaires ont fini par être retirés, mais seulement après que le portail les ait laissés en ligne plus de 6 semaines. La Cour d'État de l'Estonie (équivalent de notre Cour de cassation) avait confirmé la responsabilité du portail d'information, estimant qu'il contrôlait la publication de ces commentaires, refusant de lui appliquer la responsabilité allégée des hébergeurs prévue par la directive européenne de 2000/31/CE.

Rappels de la CEDH

La Cour de Strasbourg pose plusieurs pistes de principe qu'il importe de bien observer, compte tenu de la position suprême de cet organe judiciaire.

  1. La pratique des commentaires fait partie du modèle économique du portail et constitue un gage de sa rentabilité.
  2. Les internautes n'ont pas la possibilité de modifier ou retirer leurs commentaires une fois postés ; seul le portail peut le faire : il n'est donc pas qu'un hébergeur mais endosse bien la responsabilité d'un éditeur.
  3. Le portail ne permet pas de retrouver systématiquement l'identité du commentateur, empêchant ainsi toute éventuelle poursuite pénale des auteurs en cas d'infraction au droit de la presse.
  4. Enfin, la condamnation à une amende modique (320 €) ne constitue pas une mesure telle qu'elle constitue un obstacle à la liberté d'expression dont doit toujours jouir le portail.

La liberté d'expression n'exclut pas la responsabilité

Cette solution nous paraît juste et équilibrée.

Elle rend justice à la liberté d'expression, toujours de principe dans les pays membres du Conseil de l'Europe, signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 qui dans son article 10 garantit cette liberté.
Précisément, l'alinéa 2 de cet article précise notamment : "L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...)".
Notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose pareillement, dans son article 11 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".
Dans les deux cas, la notion d'abus de droit est présente et vient justifier que face à cette belle liberté d'expression, puisse être envisagé un simple régime de responsabilité.
Cette responsabilité peut donc parfaitement cohabiter avec la liberté d'expression sans qu'il y ait contradiction.

De la sorte, la décision rend aussi justice à la responsabilité, pour peu que celle-ci ne devienne pas un instrument de contrainte au point d'étouffer la liberté d'expression. C'est l'application équilibrée de la notion d'abus de droit.

Des conséquences au regard des portails et forums d'avis de consommateurs

Cette décision vient donc clairement délimiter et faire coexister les notions de liberté d'expression et de responsabilité. Une solution que vont devoir méditer tous les responsables de portails qui nous opposent souvent la liberté d'expression des consommateurs pour refuser de retirer des propos injurieux ou mensongers à l'encontre de commerçants injustement mis en cause sur leurs plateformes.

En savoir plus

Voir l'arrêt fleuve de la CEDH du 16 juin 2015 dans la base HUDOC de la CEDH :
http://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%...
Et sur le site Legalis.net :
http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4675
Voir la présentation qui en est faite sur ce même site :
http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4678

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Didier FROCHOT