Une nouvelle jurisprudence (TGI de Nancy, 6 décembre 2019) vient éclairer d'un nouveau jour la délicate question de l'originalité en droit d'auteur, spécialement pour des photos exploitées commercialement.
Les faits en bref
Une société qui avait publié sur son site des photos pour promouvoir ses produits a constaté que ces photos avaient été reprises sur le site d'une entreprise exerçant dans le même domaine. La société a donc poursuivi le concurrent indélicat pour violation du droit d'auteur sur les photos ainsi republiées et donc pour contrefaçon.
La décision des juges
Pour se défendre, l'entreprise concurrente invoquait l'absence d'originalité des photos, et par conséquent, l'absence de droit d'auteur sur celles-ci.
Les juges rappellent tout d'abord la définition de l'originalité d'une œuvre d'auteur, forgée par une longue jurisprudence :
"Sont protégeables les œuvres originales qui portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
L’originalité de l’œuvre peut en particulier ressortir de partis-pris esthétiques et de choix arbitraires qui lui donnent une physionomie propre de sorte qu’elle porte ainsi l’empreinte de la personnalité de son auteur. "
Malheureusement, dans les documents fournis par la société plaignante, il est précisé selon les juges que "la prise de vue des pelotes [de laine] est dictée par cet impératif de fidélité au produit", à l'exclusion de toute recherche d'effet esthétique des clichés.
Et les juges d'en conclure :
"L’objectif poursuivi est ainsi d’effacer la subjectivité du photographe pour respecter le produit dans toute la mesure du possible.
Il y a lieu de considérer que les photographies, au demeurant d’une excellente qualité technique, ont été prises par un photographe faisant état d’un simple savoir-faire technique, non protégeable par le droit d’auteur, dès lors qu’elles sont dénuées de partis-pris esthétiques et de choix arbitraires qui leur donneraient une apparence propre, leur permettant de porter chacune l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
En l’absence d’originalité, les images litigieuses ne peuvent bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur."
Un point de droit peut en cacher un autre…
Pas vraiment assuré de son affaire sur le terrain du droit d'auteur, l'avocat des plaignants avait présenté un autre fondement à sa demande : la concurrence parasitaire, un des aspects de la concurrence déloyale, condamnée sur la base de la responsabilité civile extracontractuelle générale prévue à l'article 1240 du Code civil (ex article 1382) : "tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".
Les juges rappellent là aussi la définition de ce point de droit :
"Les actes de concurrence parasitaire, qui peuvent être définis comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, engagent la responsabilité de leur auteur.
La concurrence parasitaire suppose l’établissement d’une faute et d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle. L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée."
Au vu des faits constatés par huissier, les juges retiennent que
"Il est indéniable que la réutilisation de ces images entraîne un risque de confusion à l’égard des destinataires des sites internet exploités par les deux parties, qui ont développé une activité concurrente."
Nous retrouvons là le célèbre écueil du "risque de confusion dans l'esprit du public" qui d'ordinaire mène tout droit au délit de contrefaçon. Mais ce ne pouvait pas être le cas en l'espèce.
Pour les juges :
"Une telle reproduction servile d’un nombre significatif d’images révèle une volonté de tirer profit de l’investissement important et dûment justifié par la Sarl … pour développer des images d’une excellente qualité technique."
Nous tenons ici la définition de la concurrence parasitaire : tirer profit de l'investissement du concurrent à son bénéfice.
Sans surprise, des dommages-intérêts à payer
Arrivés au bout de leur raisonnement les juges tranchent :
"Par conséquent, et même si la durée de la concurrence parasitaire s’avère brève, Mme X. sera condamnée à payer à la Sarl … la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à celle-ci."
La personne est également condamnée aux dépens de la procédure et à 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile (frais de procès engagés par les plaignants).
De l'originalité à la concurrence déloyale
Il est significatif de voir dans un tel jugement fonctionner en parallèle plusieurs points de droit qui se complètent spécialement dans le monde des affaires.
En effet, le talon d'Achille du droit d'auteur peut être la question si délicate à appréhender de l'originalité de l'œuvre, au sens juridique, laquelle originalité peut souvent faire défaut dans des photographies purement techniques d'objets à commercialiser. Nous avons eu l'occasion de nous pencher sur cette question fragile de l'originalité au sens du droit d'auteur (nos actualités du 2 février et 6 février 2016).
Il est donc salutaire de choisir – à titre subsidiaire – un autre terrain d'action lorsque celui-ci se présente, à choisir dans l'arsenal de la concurrence déloyale. C'est ici ce qui a été fait et c'est heureux pour la société plaignante.
Lire le jugement du TGI de Nancy du 6 décembre 2019 sur Legalis.net, ainsi que le commentaire qui y est proposé.
Voir aussi notre actualité du 12 juillet 2016 "Qu'est-ce qu'une œuvre ?" qui replace l'originalité dans son contexte.
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