Rarement évoqué lorsqu'on discute des questions de droits d'auteur appliquées aux métiers de l'information-documentation, ce test doit pourtant être sérieusement pris en compte dans de nombreuses situations professionnelles.
Il nous est donc apparu utile de donner un coup de projecteur sur ce dispositif.
Sur les traces historiques du test
Le dispositif est issu du double traité de l'OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) du 20 décembre 1996. Ce jour-là ont été signés au siège de l'organisation à Genève un traité sur les droits d'auteur dans la société de l'information et un autre sur les droits voisins dans la même société.
Les deux traités seront transposés dans de nombreux pays du monde, comme par exemple aux États-Unis par le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) d'octobre 1998. La future Union européenne a pris en compte ces traités dans la célèbre directive du 22 mai 2001 "relative à certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information" (ce qui a donné la sigle barbare DADVSI). Et la France s'est empressée de transposer ce texte, avec quelques années de retard comme trop souvent, par la loi dite aussi DADVSI du 1er août 2006.
Une limitation supplémentaire aux exceptions du droit d'auteur
Aux termes de ce test, les exceptions au monopole d'exploitation de l'auteur ne suffisent plus pour autoriser l'éventuelle libre exploitation d'une œuvre d'auteur. Encore faut-il que cette exception ne nuise pas aux intérêts des auteurs.
Les trois étapes à respecter
Pour pouvoir utiliser ("exploiter" dans le jargon du droit d'auteur) une œuvre sans l'accord de son auteur il faut franchir trois étapes de test :
- L'exploitation doit être autorisée par une exception dans la loi de son pays ;
- L'exception utilisée ne doit pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ;
- Elle ne doit pas causer de préjudice aux intérêts de l'auteur.
Cette disposition est transposée en droit français dans l'avant-dernier alinéa du long article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle, lequel porte toutes les exceptions au monopole d'exploitation de l'auteur sur ses œuvres :
"Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur."
Qu'est-ce à dire ?
Pour rendre plus concrète cette disposition pour le moins absconse, prenons l'exemple d'un DVD offert au prêt dans une bibliothèque publique.
Si l'on applique le test des trois étapes, il faudrait donc que l'emprunteur se pose les questions suivantes avant de réaliser une copie intégrale de l'œuvre à titre personnel :
- La reproduction intégrale projetée correspond-elle à une exception française ?
La réponse est oui, c'est l'usage privé du copiste (L.122-5 2°).
- Cette copie porte-t-elle atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ?
La réponse dépend du contexte :
Soit le DVD est toujours commercialisé, et il semble possible de répondre oui : il y a atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre qui est toujours en vente ; pour me procurer l'œuvre, j'ai la possibilité d'acheter lesupport plutôt que de la copier ;
Soit le DVD n'est plus commercialisé (la durée de commercialisation d'un DVD est souvent courte) et dans ce cas, il semble qu'on puisse passer favorablement cette étape : on ne porte pas atteinte à l'exploitation commerciale de l'œuvre puisqu'elle n'est plus sur le marché.
- Cette copie cause-t-elle un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur ?
Dans notre exemple la réponse est non : l'œuvre n'est plus en vente et en outre je ne fais qu'une copie pour mon usage personnel.
En revanche si je m'aventurais à faire de nombreuses copies que je diffuse autour de moi, même sans les vendre, non seulement je sortirais de l'exception d'usage privé (copie "non destinée à une utilisation collective"), mais en outre je me comporterai comme un éditeur diffusant l'œuvre sans que les ayants-droit puissent toucher de rémunération.
Une "usine à gaz" de plus ?
Ce dispositif nous paraît être une usine à gaz supplémentaire face au citoyen qui paraît-il n'est pas censé ignorer la loi. Il est déjà très difficile en France de s'y retrouver face à la liste des exceptions qui s'allonge démesurément mais dont l'application relève du byzantinisme le plus tordu, s'il faut encore que chaque usager se pose la question des deux autres étapes (l'existence de l'exception constituant la première) et surtout trouve avec certitude la réponse adéquate, cela devient purement et simplement impossible.
Faut-il donc considérer que ce dispositif a été imaginé pour piéger le citoyen usager du droit d'auteur et enrichir le système judiciaire (magistrats, avocats et autres) des États signataires des traités de 1996 ?
En tout cas, il semble évident qu'une législation que les justiciables ne peuvent comprendre a peu de chances d'être respectée.
Vous avez dit "simplification du droit" ?
Toutes ces nouvelles règles complexes ne manquent pas de piquant à une époque ou les pouvoirs publics français nous inondent de professions de foi et de loi "sur la simplification du droit". On a même parlé de "choc de simplification"...
Il serait grand temps de mettre la réalité juridique en accord avec les pétitions de principe…
Le même système pour les droits voisins
À noter que pour les droits voisins — artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes — la même règle prévaut, issue du second traité de l'OMPI précité.