Ainsi que nous l'avions annoncé lors de l'examen du projet de loi devant le Parlement (notre actualité du 13 octobre 2015), la loi "Création, architecture et patrimoine" a bien renforcé l'exigence de formalisme dans les cessions des droits d'exploitation des auteurs dans tous les cas de figure possibles et plus seulement dans quelques cas jugés naguère utiles d'être encadrés par le législateur.
Cette importante loi du 7 juillet 2016 porte bien sûr beaucoup d'autres intéressantes dispositions sur lesquelles nous reviendrons à l'occasion.
La modification de l'article L.131-2 CPI
Ainsi, la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite Création, architecture et patrimoine, a inséré un nouvel alinéa 2 à l'article L.131-2 du Code de la propriété intellectuelle qui est libellé comme suit :
"Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit."
Ce qui change vraiment
Cet alinéa vient derrière le premier de l'article qui consacre déjà l'obligation de recourir à un écrit pour les seuls contrats "de représentation, d'édition et de production audiovisuelle" et pour les "autorisations gratuites d'exécution".
L'alinéa nouveau vient donc généraliser cette obligation. En conséquence, il devient désormais obligatoire de recourir à un acte écrit pour céder tout type de droit d'exploitation appartenant à un auteur, ou se trouvant dans le périmètre de délégation d'un "ayant-cause" tel qu'un éditeur.
Ainsi que nous l'expliquions dans notre actualité précitée, cette obligation généralisée ne fait que légaliser ce qui était jusque là une nécessité pratique de par les exigences de l'article pivot de la cession des droits d'auteur, l'article L.131-3, qui exige que soient mentionnés dans l'acte de cession, à titre de validité de l'acte, certains éléments permettant de délimiter le périmètre de cette cession. En pratique, il était quasiment impossible de définir un tel contour sans passer par un acte écrit.
Mais ce qui change, c'est une obligation supplémentaire de formalisme qui ne saute pas aux yeux mais qu'il est possible de déduire a contrario à la lecture de l'ensemble de l'article L.131-2.
Ce texte contient un dernier alinéa, devenu le 3ème, qui dispose :
"Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables."
Cet alinéa renvoie donc, pour "les autres cas", aux règles de détermination des modes de preuve des actes juridiques en droit civil. Si l'on s'en tient à la lecture logique des deux alinéas, il apparaît que ces règles du code civil ne s'appliquent plus que pour "les autres cas". On voit d'ailleurs difficilement quels peuvent être ces autres cas puisqu'on croyait que l'obligation d'établir un écrit s'appliquait dés lors à tous les cas de figure…
Les règles du code civil sur la preuve des actes sont les suivantes (régime dit de la "preuve légale").
Pour tout montant en jeu (par exemple rémunération de l'auteur) dans un acte égal ou supérieur à 1500 €, un "acte sous seing privé" doit être établi (document écrit et signé en original). Dans les cas où le montant est inférieur à 1500 €, il est possible de se dispenser de cette rigueur et un acte informel peut suffire, comme par exemple un fax ou un document signé et scanné ou encore photocopié, comme on le fait couramment entre commerçants ou vis-à-vis de l'administration, secteurs qui pratiquent le régime de la preuve libre.
L'ambiguïté d'un texte mal inséré
Le nouvel alinéa 2 de l'article L.131-2 vient donc un peu comme un cheveu sur la soupe… si l'on veut bien nous passer cette image triviale, sans que personne parmi les autorités législatives n'ait cherché apparemment à voir les contradictions que cette insertion créait.
- Si l'alinéa est de portée générale, comme le texte lui-même le suggère, quels sont alors les "autres cas" visés à l'alinéa qui suit ?
- Si l'alinéa pose l'obligation d'un acte écrit, en dehors de toute possibilité de recourir aux règles de preuve du code civil, cela signifie que dans tous les cas de figure, dès la plus petite autorisation d'exploitation, il faudra établir un acte écrit signé de la main de l'auteur et en conserver un original…
Démonstrations par l'absurde
Je suis invité sur un plateau de télévision ou de radio pour participer à une émission. Tout ce qui sort de ma bouche est bien évidemment soumis au droit d'auteur et m'appartient. Pour permettre l'enregistrement de l'émission, il me faut donc signer un accord écrit. Notons qu'aux termes de l'article L.131-3, c'était déjà le cas, mais ce pouvait être allégé et il était possible de conserver une simple copie numérique de l'acte. À présent, il faudra conserver l'acte écrit papier original…
Plus drôle encore — si l'on ose dire — : je réponds par téléphone à un entretien téléphonique qui est enregistré pour une radio. Il faut bloquer la diffusion de l'émission tant que la chaîne de radio n'a pas reçu mon accord écrit par courrier postal puisque un simple fax serait sans valeur, aux termes de l'actuel article L.131-2 al.2…
Une anticipation sur la signature électronique ?
Sauf… à utiliser la signature électronique authentifiée… Mais quels sont les auteurs qui disposent d'une telle signature électronique, laquelle est pour le moment un dispositif payant faisant intervenir un tiers certificateur ?
Il serait sans doute illusoire d'imaginer que les parlementaires qui ont introduit cette disposition aient pensé aussi loin. Et s'ils y ont pensé, mal leur en a pris puisque, pour le coup, la loi anticipe vertigineusement sur l'évolution des mœurs en matière de signature numérique.
Il est plutôt permis de penser qu'une fois de plus le législateur moderne se prend les pieds dans le tapis. À trop vouloir bien faire, on introduit sans l'avoir sérieusement pensée, une disposition, certes louable, dans le but de mieux protéger les auteurs, et on crée ainsi un désordre législatif de plus.
Dans un cas comme dans l'autre, l'effet est que cette nouvelle disposition va désorganiser un peu plus la gestion des droits d'auteur en ce qu'elle y insère des contradictions de textes nouvelles.
Il faut souhaiter de toute urgence une mise au point de ce texte, comme on l'a vu dans le passé lorsque le législateur avait commis des fautes de droit monstrueuses et les avait discrètement corrigées à la faveur d'une modification législative (on a connu plusieurs cas de ce genre dans les décennies passées). Une question parlementaire, si elle venait à être posée, pourrait déjà nous éclairer sur le sens qu'il faut donner à ces textes pour le moment contradictoires au moins sur les deux terrains que nous dénonçons.
En savoir plus
Voir le Chapitre 1er "Dispositions générales", du Titre III "Exploitation des droits" du Livre 1er "Le droit d'auteur" du code sur Légifrance, notamment les articles L.131-2 et L.131-3 :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;?idSectionTA=LEGISCTA000006161639&cidTexte=LEGITEXT000006069414
Voir la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 dans son ensemble :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/7/7/2016-925/jo/texte
Voir notre article de synthèse sur Les actes de cession de droits d'auteur.