En guise de clôture (certainement provisoire vu les rebondissements attendus, notamment en provenance du G29) de nos commentaires sur l’arrêt de la CJUE enjoignant à Google de respecter le droit à l’effacement de ses données personnelles pour tout internaute, du moins ressortissant de l’Union européenne, nous revenons sur des considérations plus larges et qui nous étonnent depuis longtemps, depuis le temps que nous pratiquons nos missions d'e-réputation (cyber- ou web-réputation, réputation numérique, au choix), spécialement de nettoyage de propos négatifs sur le Net.
La finalité première des lois dites "informatique et libertés"
Dans tous les pays qui ont adopté des lois de protection des données relatives à la vie privée des personnes physiques, les pouvoirs publics ont expliqué qu’il convenait de mettre un frein à la tentation d’utiliser la puissance de l’informatique pour pratiquer des recoupements d’informations et ainsi de porter atteinte à la sphère privée du citoyen.
C’est pourquoi toutes ces lois ont limité les possibilités, jugées intrusives, de recoupements de fichiers.
En France par exemple, il est en principe impossible de recouper des informations sur les revenus d’une personne et ses demandes d’aides sociales, ne serait-ce que pour traquer la fraude aux aides sociales.
Les lois ont ainsi veillé à ce que les pouvoirs publics modernes, déjà investis des pouvoirs de coercition importants, ne puissent passer outre certaines règles "garde-fou" pour garantir la protection du citoyen.
Ces lois sont intervenues, dans les pays démocratiques, pour la plupart dans les années 1970-80 (États-Unis en 1974 ; France en 1978 ; Canada en 1985 ; Australie en 1988 ; Royaume-Uni en 1998 mais protection déjà consacrée auparavant par la jurisprudence ; etc.), soit bien avant l’émergence d’Internet.
Les recoupements informatiques hors-la-loi…
On peut donc constater que tout recoupement informatique se trouve hors-la-loi, ou à tout le moins soigneusement encadré et limité par la loi.
… Sauf sur Internet ?
Comment, dès lors expliquer qu’un outil informatique aussi puissant qu’un moteur de recherche permette en quelques secondes et en toute impunité de pratiquer un recoupement surpuissant d’informations sur une personne, rien qu’en tapant son nom ?
N’y a-t-il pas là tout simplement une violation de l’intimité de la vie des citoyens dans le plus grand mépris des lois de leurs pays ?
Ce qui serait interdit à l’administration fiscale ou sociale d’un État serait donc autorisé à des moteurs de recherche multinationaux pour permettre au premier venu pour faire émerger des informations compromettantes sur un citoyen ?
Il y a là quelque chose qui heurte simplement le bon sens.
C’est si vrai qu’il faut ici rappeler que la Cnil a émis en 2001 un avis, soigneusement respecté en France, recommandant l’anonymisation des décisions de justice lorsque celles-ci sont publiées sur Internet, pour éviter une sorte de "double peine" qui consisterait, même une fois sa dette payée à la société, de devoir subir la flétrissure de la publicité d’une condamnation ad aeternam.
Pas d’exception juridique sur Internet
Nous avons souvent clamé qu’il n’existe pas et n’a jamais existé de vide juridique sur Internet.
C’est pourquoi nous demeurons choqué depuis l’origine de voir des moteurs de recherche permettre et même faciliter ces recoupements éminemment dangereux pour la protection des citoyens.
C’est — au passage — une des motivations de notre équipe pour pratiquer nos missions de nettoyage de propos "gênants", qui ne devraient donc pas s’afficher avec autant de facilité instantanément sur les moteurs de recherche.
On comprendra dès lors que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai consitue l’application pure et simple de la loi sur Internet, rien de plus.
Le droit, rempart protecteur du citoyen
Le droit n’est pas un empêcheur de tourner en rond, une série d’interdits arbitraires, donc absurdes.
Il est notamment un arsenal visant à protéger l’individu.
Nous connaissons, dans les pays démocratiques, des lois de protection des individus, il convient de veiller à les faire respecter partout, y compris dans ce monde prétendument virtuel qu’est Internet.
Voilà pourquoi nous affirmions en titre de cette longue actualité "La finalité des lois informatique et libertés peu à peu appliquée sur Internet" : c’est en effet ce qui commence à se manifester, avec toute la force de cette haute juridiction, avec l’arrêt de la CJUE.
La relativité du droit à l’information
Toute autre considération, telle que le droit à l’information du public, nous semble devoir être maniée avec une infinie précaution et circonspection.
C’est nous semble-t-il ce qu’a fait la CJUE en considérant que, hormis les cas où les personnes visées sont des personnages publics, le droit à l’information du public ne saurait l’emporter sur le droit de tout citoyen de s’opposer à des recoupements informatiques faisant émerger des informations le concernant, droit garanti par la Charte européenne des droits fondamentaux.
Pour expliquer de manière un rien caricaturale le fond de notre pensée, nous ne sommes pas certain que le fait de révéler que ma voisine a montré son postérieur en 1998 à quelques amis qui l’ont prise en photo constitue une contribution informationnelle et cognitive décisive pour le progrès de l’humanité…
En d’autres termes, il est des tonnes d’informations inutiles — disons plus objectivement "à contenu sémantique faible"… — sur le web et qui peuvent rester dans l’ombre sans qu’on sombre forcément dans la paranoïa si bien stigmatisée par Anne Roumanoff :
"On ne nous dit pas tout !"
En savoir plus
Voir notre actualité du 3 décembre 2009 : Vous avez dit Droit à l'oubli numérique ? qui évoquait déjà, en filigranes, la finalité première des lois informatique et libertés de limiter les recoupements informatiques.
Voir notre article du 16 novembre 2003 sur L’anonymisation des décisions de justice
Voir la Délibération n°01-057 du 29 novembre 2001 portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence :
www.cnil.fr/documentation/deliberations/deliberation/delib/17/
Voir nos actualités sur ce sujet :
Du 2 novembre 2011 : E-réputation : la double peine sur le Web
Du 6 novembre 2012 : E-réputation — anonymisation ou non : un paradoxe médiatique
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