Commentaires en ligne : non-responsabilité de principe du directeur de la publication

Un récent jugement du tribunal de grande instance de Montpellier, statuant en matière correctionnelle, a fait application des nouveaux contours légaux de la responsabilité du directeur de la publication d'un site accueillant des commentaires.
C'est pour nous l'occasion de rappeler ces contours, délimités par la loi Hadopi 1, celle du 12 juin 2009.

La responsabilité du directeur de la publication

Personnage central du dispositif de la liberté de la presse dès la loi du 29 juillet 1881, le directeur de la publication est la personne engageant l'éditeur d'un journal, d'une chaîne de radio ou de télévision, ou encore d'un "service de communication au public en ligne", pour reprendre l'expression consacrée par la loi. Pour ce dernier cas comme pour l'audiovisuel, ce sont les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 qui s'appliquent, reprenant et adaptant les dispositions de la loi du 1881.

En peu de mots, le directeur de la publication, est responsable pour tous les délits d'information commis dans la publication qu'il dirige, aux lieu et place des auteurs des faits litigieux qui ne sont, le cas échéant, poursuivis que comme complices.
Par exemple, c'est le directeur de la publication d'un site web qui est condamné pour diffamation si ce délit survient, et non l'auteur de l'article publié.

Quid des commentaires postés en ligne ?

La jurisprudence s'est émue du fait que lorsque les sites permettent aux internautes de déposer des commentaires libres, la responsabilité du directeur de la publication puisse être engagé alors même qu'ils n'ont pas pu contrôler ni eu le temps de prendre connaissance desdits commentaires. C'est pourquoi dans un premier temps, les juges ont imaginé que les sites agissaient en quelque sorte comme hébergeurs des commentaires, de sorte qu'il convenait de leur accorder le même régime de responsabilité limitée que les hébergeurs.

C'est la solution qui a été consacrée par l'article 27-II de la loi du 12 juin 2009, dite Hadopi 1, qui a ajouté à l'article 93-3 de la loi de 1982 un alinéa aménageant un régime similaire à celui de l'hébergeur tel que prévu à l'article 6-I, 2° de la LCEN (loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique) : le directeur de la publication d'un site n'est pas responsable des commentaires publiés sur celui-ci s'il est établi qu'il n'avait pas connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, ayant acquis cette connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.

Entre irresponsabilité juridique et risque médiatique, voire politique

On peut penser que cette disposition est en quelque sorte une prime à l'irresponsabilité : plutôt que de modérer les commentaires a priori (avant validation pour publication), on favorise l'absence de modération, sans doute pour rendre plus fluide la pratique des commentaires en ligne. C'est la critique que nous avions déjà adressée à la jurisprudence qui tranchait en ce sens.

Quoiqu'il en soit sur le plan juridique, nous ne saurions trop conseiller aux éditeurs de sites de veiller de près aux commentaires qui sont déposés sur leur site. Notamment à cause du risque d'atteinte à l'image du site. Un site bien tenu, dont la ligne éditoriale est irréprochable, peut être très vite pollué par quelques plaisantins — ou adversaires — qui vont publier des commentaires ultra provocants, si possible diffamatoires ou injurieux. Certes, le directeur de la publication ne sera pas juridiquement inquiété tant qu'il ignore ce qui s'est dit sur son site, mais on imagine très bien l'effet que de tels propos peuvent produire sur l'image de ce site. On aura au mieux l'image d'un site qui n'est pas surveillé et donc dont l'éditeur est négligeant, au pire l'impression que le site a laissé faire et par conséquent a approuvé les propos tenus dans les commentaires.
Le droit n'est donc pas tout. Même s'il vole au secours du directeur de la publication, l'effet médiatique, voire politique — pour des sites de collectivités locales, par exemple — compte presque plus dans ce cas.

En savoir plus

Voir le jugement du TGI de Montpellier du 5 février 2015 sur le site Legalis.net :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4555

Voir le commentaire qui en est fait sur ce même site :
www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4556
 

Didier FROCHOT