Une très récente jurisprudence semble vouloir faire bouger le point de départ du délai de prescription des délits d'information sur Internet. Initiative fort utile pour la lutte contre l'e-réputation (ou web-réputation) négative.
On sait que ces délits sont precrits au bout de 3 mois à partir de leur date de publication, aux termes de l'article 6-IV de la loi sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. L'amendement d'un député, faisant partir ce délai au retrait de l'information et non à sa mise en ligne, consacrant en cela la jurisprudence antérieure, a été retiré de la loi par le Conseil constitutionnel, au motif qu'il introduisait une distorsion entre les régimes des médias papier, audiovisuel et en ligne.
Mais précisément, c'est cette aveugle harmonisation qui a introduit une distorsion :
- Un journal papier n'est plus lu au bout de trois mois que par quelques chercheurs ;
- Une émission de radio ou de TV est oubliée au bout de trois mois (et le délai se rouvre si l'émission est redifussée) ;
- Mais sur Internet, tout est présent et disponible en permanence, grâce aux moteurs de recherche.
Nous avons signalé au cours de l'été (notre brève du 29 août) le dépôt d'une proposition de loi tendant à faire passer le délai de prescription sur Internet à un an, sans changer le point de départ qui resterait la mise en ligne. Cela semble sage, car 3 mois sont vite passés et nul n'a le temps de surveiller son image et son e-réputation au quotidien. Même si cette proposition a peu de chances d'aboutir en tant que telle, elle pourrait être répercutée dans la réforme en projet de la LCEN (notre brève du 9 mai 2008).
En attendant, des juges cherchent à contourner l'obstacle de ce délai de prescription bien trop court. Dans une espèce très récente (Tribnual de grande instance de Tulle, 9 septembre 2008), l'auteur de propos constitutifs d'apologie de crime de guerre (Art. 24 al.5, loi du 29 juillet 1881), propos d'abord publiés sur support papier puis mis en ligne sur le blog de l'auteur le 10 février 2007. L'auteur ayant modifié son article en ligne le 17 janvier 2008, les juges sautent sur l'occasion pour considérer qu'il s'agit d'une "première mise à disposition effective des utilisateurs du réseau". L'argument peut paraître discutable et il faudra voir - si l'affaire remonte jusqu'à la Cour de cassation - comment cette dernière tranche. En effet, elle a déjà été saisie, sous l'empire de la nouvelle loi, d'une affaire similaire (Crim. 19 septembre 2006, inédit signalé par l'excellente revue Lamy Droit de l'immatériel) et elle a dû casser l'arrêt d'une Cour d'appel qui entérinait un raisonnement proche de celui-ci, pour manque de base légale, c'est-à-dire pour interprétation contraire à l'art. 6-IV de la LCEN.
Le jugement du TGI de Tulle sur Legalis.net : www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2421
Présentation du jugement sur Legalis.net : www.legalis.net/article.php3?id_article=2422
L'article 6-IV de la LCEN sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006421549&dateTexte=vig
L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 septembre 2006 sur Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?i&idTexte=JURITEXT000007641102