Signalé par le GFII (Groupement français de l’industrie de l’information) et relayé par Emmanuel Barthe sur son blog precisement.org, la nouvelle ne manque pas d’étonner : les bases de données juridiques produites par la Dila (Direction de l’information législative et administrative) disponibles sur Légifrance vont passer sous licence gratuite, y compris pour une "réutilisation professionnelle".
En clair, cela signifie que les licences payantes jusque-là en vigueur pour pouvoir disposer de l’intégralité de chaque base (ASSOCIATIONS, DEPOTS DES COMPTES DES ASSOCIATIONS, JORF, LEGI, KALI, JADE, CONSTIT, CASS-INCA, CAPP, CNIL, CIRCULAIRES) vont disparaître.
De l’accès ponctuel aux bases juridiques à leur exploitation intégrale
Pour bien comprendre la portée de cette décision, il faut la resituer dans le contexte de l’histoire des bases de données juridiques françaises et dans celui du droit des bases de données.
Depuis 1998, le principe a été posé du libre accès au droit français sur Internet sous le nom de Service public de diffusion du droit sur Internet (SPDDI). Depuis cette date, tout internaute peut accéder librement aux lois et règlements en vigueur en France, ainsi qu'à la jurisprudence des cours suprèmes (Cour de Cassation, Conseil d'État). Cela a été le lancement du site ouvert et gratuit Légifrance, remplaçant Jurifrance dont l’accès était payant.
Une autre chose était de mettre l’intégralité des bases de données à disposition des utilisateurs professionnels tels que les éditeurs juridiques ou les grandes entreprises.
Les licences de bases de données
C’est toute la différence entre :
- L’extraction non-substantielle d’une base de données en consultant et récupérant de temps en temps un texte de loi, un décret, voire un code, une décision de justice (usager occasionnel) ;
- La récupération systématique de la totalité des données d’une base (JORF, LEGI ou autre) qui porte atteinte au monopole d’exploitation du producteur de base de données, ce qu’on nomme en France "droit des producteurs de bases de données" et en Europe "droit sui generis".
C’est ce droit qui jusque là justifiait l’existence de licences payantes, publiées sur le site de Légifrance, pour la récupération complète des bases juridiques. C’est aussi un des cas où la gratuité de la réutilisation des données publiques peut être remise en cause et que l’existence d’une redevance peut être justifiée, avec à la clé une licence publique d’exploitation.
Une décision du Cimap du 18 décembre 2013
C’est la 4ème session du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (Cimap), tenue le 18 décembre dernier, qui a pris cette décision qui montre bien la volonté d’aller vers une ouverture toujours plus large et plus libre des données publiques.
Le dossier de presse de cette réunion signale (p.4) :
"Dès aujourd’hui, le Gouvernement supprime certaines redevances, notamment celles prévues sur :
- les données essentielles d’accès au droit : les données de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), ainsi que, courant 2014, les données des bases juridiques du site legifrance.gouv.fr (...)"
Le relevé de décision du Comité du 18 décembre précise (p.21) :
"Décision n°25 : Sur la base du rapport remis par M. Trojette relatif au modèle économique des redevances de réutilisation des données publiques et après examen des différentes catégories de données publiques soumises à redevance, le Gouvernement décide de supprimer plusieurs redevances. Les redevances supprimées sont celles perçues sur :
(...)
- les redevances sur la réutilisation professionnelle des informations suivantes diffusées par la DILA :
ASSOCIATIONS, DEPOTS DES COMPTES DES ASSOCIATIONS, JORF, LEGI, KALI, JADE, CONSTIT, CASS-INCA, CAPP, CNIL, CIRCULAIRES".
Comme on le voit, le rapport Trojette a joué une certaine influence. Il dénonçait en effet l’hétérogénéité des redevances mises en place en application des articles 15 et suivants de la loi du 17 juillet 1978.
Dans le courant de l’année 2014, on devrait donc voir apparaître sur le site de la Dila, en remplacement des licences payantes toujours en ligne, des points d’accès direct aux bases ci-dessus désignées, à l’image de ce qui se fait déjà pour les bases parlementaires (débats et questions parlementaires des deux assemblées).
La France, toujours pionnière en matière d’information juridique
Cette décision, comme le souligne le GFII "place la France parmi les pays les plus innovants en matière de réutilisation".
Il faut reconnaître, quels que soient les griefs des juristes pour certains dysfonctionnements de Légifrance, depuis sa naissance et ses différentes mues, que la France offre un des systèmes d’accès au droit les plus rationnels du monde (avec celui de l’Union européenne dont les bases sur le site Eur-Lex sont aussi d’une excellente qualité, même s’il est complexe de s’y retrouver au départ).
Il suffit d’avoir eu à chercher un texte juridique d’un pays étranger pour s’en convaincre, même au sein des pays européens, sans parler du labyrinthe de l’accès au droit américain, corsé par la mosaïque de droits des 50 États…
La France conserve donc son avance en termes de facilitation de l’accès et de la réutilisation de ses données publiques, à commencer par les données juridiques de base, les lois et règlements, que nul n’est censé ignorer, puisque nul n’est censé y échapper.
Mais on n’attendait pas si tôt la gratuité de réutilisation des bases de Légifrance. Comme le souligne non sans ironie Emmanuel Barthe : "Comme les choses changent depuis quelques années dans l’édition juridique. Parfois, on se frotte les yeux, tant on a du mal à y croire".
En savoir plus
Voir :
Le billet d’Emmanuel Barthe sur son (toujours) excellent blog (19 janvier) :
www.precisement.org/blog/Comme-les-choses-changent-dans-l.html
L’actualité du GFII du 23 décembre 2013 :
www.gfii.fr/fr/amico/411
Consulter :
Le compte rendu du Cimap du 18 décembre 2013 sur le site modernisation.gouv.fr :
www.modernisation.gouv.fr/le-sgmap/le-cimap/le-cimap-du-18-decembre-2013
et y télécharger le dossier de presse et le relevé de décisions (en pdf)
Le Répertoire des informations publiques (RIP) de la Dila, présentant les licences encore payantes des bases de Légifrance et un accès direct aux bases parlementaires signalées ci-dessus :
http://rip.journal-officiel.gouv.fr
Les articles 15 et suivants de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 sur les redevances :
www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000339241&oldAction=rech...
Le rapport Trojette : Ouverture des données publiques - Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ? (novembre 2013) — Bibliothèque des rapports publics de La Documentation française :
www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000739-ouverture-des-donnees-publiques-les-exceptions...